mardi 15 mars 2016

Thème libre - vendredi 4 mars 2016

Réunion du vendredi 4 mars 2016

   Peut-on échapper à son propre style ? Pourquoi le vouloir d'ailleurs ? Peut-être pour fuir la fatigue d'être soi, de savoir parfaitement à l'avance de quelles ficelles nous allons encore (ab)user. C'est sans doute un peu pour cela que des écrivains, des cinéastes, des peintres se sont fixés des contraintes. A la manière de Georges Perec qui a écrit le roman La Disparition sans le moindre "e". Alors la contrainte devient liberté,car elle permet d'explorer des territoires inconnus. Sortir de ses habitudes. De ses facilités. De ses artifices.

   Pour ce nouveau compte rendu du café-littéraire qui avait pour thème "livre du moment" (donc une absence totale de thème), j'aimerais échapper à mon style. Vous en dispenser.

   Cela suppose :
1/ d'arrêter le bavardage narratif, et de ne plus chercher la perfection de la prose ;
2/ d'abandonner les références sociologiques, littéraires, cinématographiques... qui en toute franchise ne sont là que pour afficher du capital culturel ;
3/ de ne pas produire une dissertation pour initiés, mais un texte accessible à toutes et à tous.

   Vu le premier paragraphe c'est mal parti... Essayons pourtant.

   Voilà deux règles qui, en complément de ce qui précède, encadreront ce compte rendu :
1/ pas de brouillon, pas de structure, un seul jet directement sur le site. Ne pas soumettre le compte rendu à mes pairs, ne pas tricher, pas de filet. De toute façon personne ne lira... ou presque.
2/ ne pas utiliser les notes compilées pendant la soirée. Seulement en fin de texte pour lister les livres cités et leurs auteurs.

   Je commence.
Je me souviens des absences de Delphine et de Geneviève. Résultat : Gaëlle était la seule femme à bord du P'tit bonheur. Enfin à notre table. Dans ce monde masculin, la grâce d'une cuillère mélangeant un chocolat chaud a fait du bien. Tristan et Stéphane H. étaient déjà là. De mon côté j'arrivais avec Efisio avec un peu de retard. Puis le vieux qui lisait des romans d'amour nous a rejoint ainsi qu'Aymé. Je l'ai honoré d'un clin d’œil cinématographique qu'il a immédiatement saisi. Aymé est exactement mon genre : discret, attentif, cultivé, fin, fidèle. Il n'y a pas que les cuillères  qui ont droit à mon attention.

   J'ai lancé Tristan sur le roman qu'il avait emprunté à la bibliothèque. Je n'ai plus l'auteur ni le titre et cela m'apprendra à écrire sans mes notes. Tristan était donc de retour après deux cafés manqués pour cause de théâtre. C'était comme s'il avait été toujours là. Son roman parle de la confrontation entre culture druidique et religion chrétienne au Moyen-Age. Le personnage principal est un enfant qui cherchera à concilier les deux mondes, les deux univers de croyances. Je sais qu'Efisio et Stéphane ont longuement rebondi, en particulier sur un cycle de bouquins sur la quête du Graal. Les lèvres trempées dans ma bière j'écoutais attentivement pendant que Tristan nous faisait partager sa lecture avec enthousiasme. François a réussi à nous rejoindre pour évoquer un roman russe teinté d'absurde et de culture ukrainienne. L'auteur au nom très court ne fait pas partie de mes références habituelles, car il s'agit d'un romancier contemporain. Il est question dans son histoire d'un chat et de drôles d'aventures. Une discussion s'ensuit sur la culture et la littérature slave. Le même auteur a écrit des romans avec des pingouins dans le titre. Deux romans aux titres extraordinaires, du style "Les pingouins n'ont jamais froid". Il n'y a aucune raison que je les ai retenus avec exactitude bien sûr, et pourtant j'adore les romans russes. Je ne suis pas le seul autour de cette table d'ailleurs. Je suis bien dans ce bar où se côtoient buveurs d’alcools et buveurs d'encre. Ce lieu est désormais habité d'une douce et modeste utopie.

   Stéphane a réussi à nous parler de nouvelles de Sepulveda. C'est dingue, c'est sûrement le seul nom d'auteur que je citerai. Il n'a pas lu les nouvelles et s'appuie sur le quatrième de couverture pour nous parler d'un assassin à qui il arrive je ne sais plus quoi. Où d'un commissaire ? Je me souviens par contre que les premières phrases d'ouverture des histoires de Sepulveda sont pour Stéphane de véritables bijoux d'orfèvre. La cuillère au chocolat taquine et me souffle qu'il va réussir à tenir la parole pendant de longues minutes sans avoir lu la moindre ligne. Mais mon compagnon de films japonais du soir est déjà pardonné, car nous savons tous que nous ne pourrons plus jamais écumer les librairies sans nous attarder longuement sur le rayon des auteurs à la lettre "S". Des tigres et des assassins coulent pour toujours dans mes veines. Pour Efisio, c'est l'Italie qui fait battre son cœur. Et Dante. Et Umberto Eco avec Le pendule de Foucault.  Si la mémoire est plus précise, c'est parce qu'Efisio m'a mis sous le nez quelques pages écrites sur les femmes. Une réflexion sur les nombres et la religion aussi je crois. Je n'ai jamais lu U. Eco, décédé depuis peu, car j'ai peur de son érudition. C'est idiot mais c'est comme ça. Qui se moquera des gens qui ont peur des livres ?

   Tristan, François, Stéphane, Efisio, La suite, c'est peut-être Gaëlle qui s'en est chargée. Plusieurs livres. De la poésie forcément. Un titre d'un auteur (portugais ?), Fernando Pessoa, L'intranquillité... de quoi déjà ? J'oublie les titres des livres de Gaëlle, c'est malin.  Foutue règle ça me démange de prendre les notes.  Par contre, son roman sur une chronique sociale me revient. Un immigré espagnol installé en Bretagne fait fortune et transmet l'affaire - le commerce de fruits et légumes ? - à ses descendants. Histoire d'un homme terne qui ne parviendra pas à marcher dans les traces sublimes de son illustre grand-père. Titre et auteur se sont envolés dans les vents du Finistère. Stéphane H. Nous sort un livre de SF digne de lui. De la SF ambitieuse sous la plume de Barjavel. Ce n'est pas Ravages, ni Le grand secret. Des scientifiques découvrent au fond de l'Arctique (de l’Antarctique ?) les ruines d'une civilisation engloutie. Un homme et une femme nus, congelés. Rien que ça. Revenus à la vie, ils racontent leur histoire. Un dilemme je crois : faut-il utiliser les armes extraordinaires que possédait cette civilisation ? Barjavel interpelle son temps : les débuts d'une conscience écologique, les armes nucléaires, les utopies juste avant mai 68. Stéphane était déçu que nous n'empruntions pas ses bouquins. Comme des conseils de lecture qui se seraient perdus au fond de l'Arctique en attendant qu'on les retrouve. Je lirai pourtant ce roman de Barjavel Stéphane, dans un mois, dans un an ou dans vingt ans. Je le sais car tu m'as donné envie de le lire et je le retrouverai forcément en errant dans une braderie. Tout me reviendra alors : le café, la nuit, ma bière, Dante, les tigres, les pingouins, Brocéliance, l'intranquillité de mon style.

   J'ai présenté un western écrit par une auteure et j'y tiens car je ne lis pas assez de plumes féministes. Faillir être flingués de Céline Minard. Si vous aimez les grands espaces américains, la conquête de l'ouest, les villes en ébullition, les saloons, les indiens... et un vrai style littéraire, alors ce roman est  fait pour vous. Dans un mois, dans un an ou dans vingt ans. Je me souviens d'une discussion sur la notion de roman classique. Je crois que Gaëlle associait ce mot au XIXe, et je crois avoir dit que ce qui est classique c'est ce qui reste, ce qui marque de son empreinte... Je dis que je voudrais lire des romans qui sont ou qui deviendront vite des classiques. C'est vrai et terriblement prétentieux. Aymé a mis tout le monde d'accord avec un roman, un récit plutôt, d'Hemingway sur Paris. Nous lui avons dit que ce livre s'était arraché dans les librairies parisiennes après les attentats de janvier ou de novembre. Il ne le savait pas. Aymé lit Hemingway parce qu'il lit les grands auteurs classiques qu'il aime (comme R. Gary) et non parce qu'il suit une mode. Je vous l'ai dit : un type fiable.

Raphaël

Conseils de lecture :

L'hérétique de Brocéliande, de Claude Lafargue (Tristan)
Laitier de nuit, d'Andrei Kourkov (François)
Journal d'un tueur sentimental, de Luis Sepuveda (Stéphane)
Natalia, de Liliane Guignabodet et Le pendule de Foucault d'U. Eco (Efisio)
[J'ai complètement oublié ce roman sur l'émancipation d'une femme dans la Bulgarie de la fin du XIXe au milieu du XXe pardonne moi Efisio]
Fruits et légumes d'Anthony Palou et Le livre de l'intranquillité de F. Pessoa (Gaëlle)
La nuit des temps, de Barjavel (Stéphane H.)
Faillir être flingué, de Céline Minard (Raphaël)
Paris est une fête, d'E. Hemingway (Aymé)