Réunion du vendredi 22 mai
- par Delphine -
Vendredi soir,
il est un peu plus de 19h quand
nous entamons notre 3e café littéraire au bar du petit bonheur sur la
thématique
littérature et cinéma
ou,
pourquoi et comment un cinéaste adapte un roman sur grand écran.
Cette fois nous avons eu en renfort les graines de
lecteur du Verger. En marge de notre
café on a vu émerger le café « off ».
Nils, Anton , Zélie, Cléa, et Luc ont décidé
de nous accompagner pour animer leur premier « soda littéraire »
. Entre deux gorgées de diabolo il était
donc question d’univers fantastiques peuplés d’animaux guerriers doués de
pouvoirs magiques ayant à lutter pour leur survie (La guerre des clans d’Erin Hunter, animal
tatoo de Brandon Mull), d’aventures adolescentes
sous forme de « road trip »
burlesque ( Goodbye Berlin
de Wolfgang Herrndorf) et des secrets des châteaux forts dévoilés par kididoc. Les
diabolos terminés, les tartines englouties, le "off" s’est terminé
clandestinement en cache-cache géant sur le parking de la bibliothèque (on
taira le pantalon troué).
Côté adulte, la discussion a commencé sur le zinc entre François, Stéphane et Raphaël et s’est poursuivie un peu plus tard avec Jean-Réol et moi-même, rejoints assez vite par Gaëlle puis Tristan. La table « Antonín Dvořák» a alors été investie par notre fine équipe avec au menu : des livres, des DVD, de la bière, du cidre, du jus de fruits, toujours les savoureuses tartines et l’envie de partager nos lectures.
Délaissés par les membres du café « off », les univers
fantastiques et d'heroic-fantasy se sont une fois de plus invités, mais à la
table des grands cette fois.
JRR Tolkien était attendu, il n’a pas manqué au rendez-vous.
L’adaptation cinématographique très controversée de la trilogie du Seigneur des anneaux faite par Peter
Jackson et présentée par Stéphane nous a questionnés sur les représentations
très personnelles d’un univers romanesque et leur projection à l’écran. Les
images et les traces laissées à la fin d’un livre sont propres à chacun en
raison de son vécu et sont d’autant plus intimes lorsqu’il s’agit d’un monde irréel. Ces représentations
ne sont pas toujours en phase avec l’imaginaire du réalisateur qui décidera de
traiter le sujet avec son imaginaire propre, ses priorités narratives, ses
contraintes de temps et probablement des impératifs de rentabilité commerciale.
Nous avons débattu un long moment sur la partie
traitant des Ents (les esprits de la forêt à apparence d’arbres dans la terre du
milieu du seigneur des anneaux). Ces géants ont notamment la particularité
d’être très lents, de prendre le temps des décisions en employant un langage lui aussi très lent et nuancé.
Dans le roman cette suspension du temps est palpable mais le traitement du
temps qui module selon l’endroit et les personnages a dû représenter une grande
difficulté pour Peter Jackson puisque le rapport au temps est différemment exprimé selon qu'il s'agisse d'un film ou d'un roman. Un roman se lit, se pose, on peut le reprendre, ralentir le débit de
lecture ou l’accélérer. Au cinéma, le réalisateur doit user de subterfuges pour
restituer ces sensations essentielles au respect de l’histoire.
De nombreuses références littéraires et historiques
apparaissent dans le seigneur des
anneaux. S’attaquer à ce monument littéraire n’était donc pas sans
risque. Pour preuve, il semble qu’il y
ait eu de nombreuses tentatives d’adaptation sur grand écran du seigneur des
anneaux, dont des films d’animation. Toutes ont été un échec et ce sont les progrès
en image de synthèse qui ont très certainement contribué à sa mise en œuvre.
Les trois volets ont été diversement accueillis néanmoins le dernier a été récompensé par onze Oscars.
D’autres films
ont étayé les discussions : Bilbo le Hobbit roman de 300 pages
passé en trilogie au grand écran a été défendu par François, Le Monde de Narnia, Arthur et les minimoys par Gaëlle, Eragon et Game of thrones ont été évoqués par Tristan.
L’autre point d’adaptation soulevé était le
format : La série télévisée a-t-elle un avantage sur le long métrage de
par son format ? Permet-elle de restituer toute la complexité des
personnages et la richesse des intrigues permises par le format papier du roman
(ex, Nicolas Le Floch la série télévisée française
adaptée de plusieurs romans policiers de Jean-François
Parot dans laquelle sont développées
des événements historiques et des intrigues policières du Paris du XVIIIes.)
D'autre part, la thématique des films mettant en scène des rituels
de passage vers d’autres mondes imaginaires est fréquemment rencontrée en
littérature (on pense à Alice au pays des
merveilles) comme au cinéma. Elle permet aux personnages de basculer dans
un « ailleurs » (Matrix de L. et A. Wachowski…), un monde passé (inception de C.Nolan, …) ou bien un monde imaginé dans l’esprit du héros (la vie est belle de R. Benigni, dans lequel les camps de concentration
deviennent un jeu grandeur nature pour protéger le jeune garçon). Il était
intéressant de se poser la question des différents procédés utilisés par les
réalisateurs pour y parvenir, tant au niveau de la narration que par des
procédés techniques.
La direction d’acteur, les dialogues, la lumière , le son,
le mouvement de caméra , le cadrage , le rythme créé au montage, ainsi que la
musique sont au service d’une façon de raconter l’histoire. L’image peut aussi
se trouver chargée de valeurs et de sens différents selon la manière dont elle
s’exprime et donc permettre la bascule d’un univers à l’autre. Cette symbolique
du passage d’un monde à l’autre est aussi la représentation du passage à l’âge
adulte. Cette étape est encore célébrée chez de nombreux peuples par des
rituels alors qu’ en Occident et en Europe on se demande comment s’exprime
encore cette phase? (Hier, le service militaire représentait-il une forme de
reconnaissance de l’Etat envers le jeune devenu adulte ? Aujourd’hui, le baccalauréat ? Le permis
de conduire ? Les adulescents victimes du syndrome de Peter
Pan ont-ils manqué de cette représentation symbolique ?)
Le film post-apocalyptique a également été à l’honneur
avec La route de Cormac McCarthy. François a dû mettre sa lecture en pause du
fait de la tension du roman et du malaise croissant avec les atrocités
rencontrées par le héros alors que Jean-Réol et Raphaël ont discuté de la trame
du récit en se demandant si cela allait crescendo dans l'horreur ou si au
contraire le romancier jouait sur la montée par pallier en alternant tension et
détente. Pour Raphaël, c’est grâce à l'interprétation de Viggo Mortensen que le
film fonctionne. Il semblerait que le film aurait gagné en intérêt si le réalisateur
s’était engagé avec un véritable point de vue cinématographique au lieu de ne
faire qu’une mise en image du film. Par exemple Orange mécanique d’Anthony
Burgess réalisé par Stanley Kubrick
ne peut laisser indifférent.
Je suis sortie du fantastique et du film
d’anticipation pour entrer dans la quête personnelle et politique du Che avec
le film Carnets de Voyage de Walter Salles.
Le film a eu un grand succès auprès du public et des
critiques. La prestation de l’acteur Gael Garcia Bernal dessine les traits d’un
Ernesto Guevara sensible, humain, honnête laissant présager de son avenir
légendaire aux côtés des plus faibles. Son compagnon de route joue davantage
dans un registre de bon vivant, roublard et dont l’appétit sexuel n’est plus à
démontrer. Parcourant, tel Don Quichotte et Sancho Panza, les paysages sublimes
d’Amérique du Sud sur une moto méthodiquement rafistolée au fil de fer, nos
héros font eux aussi leur passage à l’âge adulte dans ce film aux allures de
road movie. Deux ouvrages sont à l’origine du film : voyage à motocyclette d’ Ernesto
Guevara et sur la route avec
che Guevara d’Alberto Granado. A la lecture du premier livre, le carnet de
voyage du Che, je note un véritable point de vue cinématographique de la part
du réalisateur, mais peut-être trop consensuel, visant plus les trophées
que le désir de témoigner de la révélation politique du Che. Car c’est bien de
cela qu'il s’agit. D’un simple carnet de voyage de deux argentins issus de la
petite bourgeoisie, dont les principales préoccupations sont de faire un voyage
à travers le pays, en trouvant de quoi de nourrir et se loger à moindre frais,
sans oublier de vérifier ce qu’on dit sur les latino-américaines, on bascule vers une vraie prise de conscience
de la misère humaine. L’injustice sociale est criante dans le regard de ces
populations indigènes en perte de repères, prisonnières de l’alcool et de la
feuille de coca. La civilisation indienne n’a pas pu résister aux puissances
armées des conquistadors. Nos héros du livre vont alors à la rencontre des
gens, cherchent à comprendre la situation sociale et politique du pays à
l’époque, découvrent les enjeux des exploitations des sols riches en minerais.
Ils se moquent de l’Eglise mais constatent son emprise sur les habitants. La
clef est l’éducation, c’est elle qui permettra aux peuples d’Amérique du sud de
retrouver sa dignité perdue.
Cette prise de conscience politique n’apparaît qu’en
filigrane dans le film alors que c’est l’essence même du livre. Les problèmes
soulevés sont encore terriblement actuels.
C’est un choix du réalisateur qui a préféré traiter
cette histoire sous le prisme de l’élégance et du politiquement correct. Est-ce
pour donner envie aux spectateurs d’aller plus loin en lisant la véritable
épopée du Che ?
Toute cette soirée nous avons donc parlé livres,
cinéma et de la vie.
D’abord, entre le roman et le cinéma :
Il s’agit d’une rencontre. Une rencontre entre un
auteur et un cinéaste. Le roman porte une idée, le cinéaste aura envie de la
partager en la portant à l’écran. Enfin,
le public va à la rencontre d’un auteur grâce au cinéma ou d’un réalisateur
grâce au roman.
Au cinéma comme dans les livres on nous raconte des
histoires en jouant avec les mots, les images, toutes sortes de leviers dont on ne connaît pas toujours les secrets.
Mais le cinéma est aussi un puissant moyen
d’information, il doit rester un acte de résistance et non de propagande.
Qu’est ce qu’une adaptation ? Comme son nom
l’indique, c’est une sorte de transposition personnelle. A un moment donné il y
aura donc la rencontre d’une histoire et
d’un individu puis son traitement pour qu’elle soit rendue publique (sur scène,
sous forme de composition musicale, à l’écran …). L’adaptation par principe ne
peut être objective puisqu’elle se fait
à travers le prisme du réalisateur, du metteur en scène, du compositeur.
Elle sera donc un point de vue naturellement non universel.
Et puis il y a
eu beaucoup de digressions :
Il a été question de littérature avec Romain Gary, Zafon, Aldous Huxley, Albert
Camus, d’enseignement et d’éducation par ces temps de baccalauréat, de
réforme des collèges, et de la persistante inégalité devant l'éducation.
C’est certain, l'esprit "estaminet culturel"
a bel et bien plané sur Le Verger ce soir là. Et il y avait encore tant de
choses à dire que, devant le bar, prêts à partir, un vélo avec le phare
encagoulé pour les uns, un polar de Cormac McCarthy sous le bras pour les
autres, a été décidée une soirée Cinéma
et Littérature II le vendredi 19 juin à 19h (on demande Truffaut, Jules et
Jim au bar )
Donc au menu pour la prochaine édition du café
littéraire mon premier est un
livre… il y aura des bières, du cidre, des tartines délicieuses,
l’accueil chaleureux de François, l'esprit slave et la Russie d'Elena, des clients
au bar, des enfants avec ou sans trou
dans le pantalon peut-être, une belle soirée d'été surement !