Deux billets dans
le même mois, on va réussir à rattraper notre retard de publication !
Au début du mois
de décembre, nous nous sommes donc réunis pour traiter de la manière dont on
perçoit la vieillesse à travers la littérature et la manière dont celle-ci
envoie des signaux vers la société. Enfin, je crois… On a eu quelques
difficultés à cibler la problématique du jour. Histoire de donner un titre, je pioche celui-là :
" Vieillesse en littérature, reflets de la société ?"
Café un peu
raccourci pour diverses raisons, nous avons démarré avec la présentation du
travail d’une Gaëlle virtuelle dont les propos nous ont été fidèlement
rapportés par Stéphane.
Gaëlle nous a
donc présenté, par écrits interposés, une série en deux tomes de Doris
Lessing : « Les carnets de Jane Somers : Journal d’une voisine »
et « Si vieillesse pouvait… ».
Cette série nous fait découvrir
l’improbable amitié qui va lier une quinqua dynamique – veuve et sans enfant –
et une vieille femme seule, âgée et malade. A travers leur cohabitation, la
plus jeune, fière de son indépendance et de l’organisation dont elle fait
preuve en tout temps, va devoir remettre en question la lecture qu’elle a de sa
propre vie tandis que la plus âgée tente de conserver son sentiment de dignité.
Au fil des jours, une dépendance de l’une envers l’autre va se faire jour.
Dans le second
tome, la plus jeune tombe amoureuse et voit à nouveau l’équilibre qu’elle a construit
remis en question : la dépendance se transforme en complémentarité des
âges, chacun ayant quelque chose d’essentiel à apporter à l’autre.
Gaëlle nous
propose trois lectures possibles de ces œuvres : un jeune lecteur y
trouvera une meilleure compréhension de ses aînés, un lecteur dans la force de
l’âge une probable remise en question de sa capacité à aller vers les autres
alors qu’il recherche ordre et cohérence et enfin, les lecteurs les plus âgés y
puiseront sans doute la force de développer humour et tolérance pour démontrer
leur valeur aux yeux des plus jeunes.
Plusieurs
réflexions nous ont guidés pendant cette présentation :
· D’abord sur l’individualisme actuel dans la société. A l’instar de cette quinqua dynamique, la société actuelle incite à l’individualisme au détriment du groupe et de la relation à l’autre. Or si nous continuons dans cette voie, l’individu devient responsable à lui seul d’une très grande quantité de faits. Ce qui selon le sociologue Alain Ehrenberg mène un grand nombre d’individu à « La fatigue d’être soi » - essai sur la dépression et la société. En panne d’action dans le cadre familial et amical, l’individu se retrouve seul face à ses décisions et subit des contraintes énormes.
· Ensuite sur le regard que les individus dans la force de l’âge portent sur la vieillesse : avec Efisio, notre nouveau venu du mois !, nous avons évoqué la déchéance physique de l’homme âgé qui oblige son fils à faire face, à prendre soin de lui, à l’entourer avec beaucoup d’amour quand personne autour ne cherche à l’aider. « Misère de l’homme sous le regard de Dieu » de Romeo Castellucci a soulevé une forte vague de protestations à chacune de ses représentations : rapport à Dieu remis en question par une révolte contre son silence, scènes insupportables de ces excréments couvrant peu à peu la pièce ont conduit certains à l’excès, ces excès montrant bien à quel point notre société est mal à l’aise vis-à-vis de la vieillesse et de ce corps qui ne se contrôle plus.
· Enfin, nous avons évoqué l’ordre et la cohérence que l’individu recherche pour ressentir un certain équilibre dans sa vie. Avec des constats : la simplification intellectuelle libère une charge énergétique, il faut pouvoir se faire accepter et accepter par l’autre ce qui nous conduit à nous adapter, et des questions : la reproduction des mêmes schémas conduit-elle vraiment à une assurance de solidité, de socle sûr et stable ?
Ce qui nous a
amené à la lecture imposée de Stéphane (merci Gaëlle de nous avoir épargné une
nouvelle lecture de « Le vieux qui lisait des romans
d’amour » lol…) : « Eloge de la vieillesse » de Hermann
Hesse,
recueil de textes qui, à travers leur variété et les différents
portraits et réflexions, amènent le lecteur à comprendre qu’il faut trouver une
autre voie, un autre support que la cohérence et l’ordre pour continuer sur le
chemin.
J’ignore ensuite
ce qui nous a fait dériver et revenir à ce regard intransigeant sur les
"vieilles personnes"… Mais Efisio et Raphaël ont rebondi sur le changement de vie,
en fin de vie *sic*, avec le film « Umberto D », de Vittorio De Sica, qui
présente la vie d’un vieillard dont la retraite n’est pas suffisante pour vivre :
garder son logement et manger.
Cet homme cherche par tous les moyens à
conserver sa dignité puis à court de possibles se tourne vers ses proches… qui
lui tournent le dos. N’ayant plus de ressources, il envisage de se suicider
mais son chien, seul compagnon qui lui reste, l’en empêche en se sauvant… Ce
film engagé lance un véritable appel à la solidarité, dans une société où
beaucoup restent centrés sur eux-mêmes, les animaux finissant par être les
seuls compagnons des personnes âgées.
Aucun
espoir ?
peut-être que si finalement…
Pour contrer
cette ambiance un peu défaitiste – ou désespérante ? - il faut bien le dire,
j’ai apporté avec moi « Et puis Paulette… » de Barbara
Constantine qui nous présente une autre vision de la vieillesse. Une
vieillesse certes bougonne et pleine de maux mais aussi un peu joyeuse et
libérée ! Avec une approche différente puisque l’auteur, si elle y fait
allusion, ne traite pas de la relation parents âgés-enfants adultes mais de la
relation grands-parents/petits-enfants. De cette transmission familiale, de ce
tiers qui ouvre les possibles dans la vie des personnes âgées et renoue le
dialogue avec leurs propres enfants… L’auteure est d’ailleurs coutumière du
genre puisqu’on retrouve la thématique dans « A Mélie, sans mélo » et
« Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom… »
Cela rejoint sans
doute cette notion de vie collective, de solidarité, d’humour nécessaire en
réponse à la problématique du « comment bien vieillir »…
(Voilà, moi, je vous laisse là, d'autres priorités se sont glissées dans mon emploi du temps...)
La suite racontée
par Raphaël…
La présentation
par Vefa des deux romans de Barbara
Constantine m’a une nouvelle fois permis d’élargir mon horizon littéraire…
et de découvrir avec étonnement qu’il s’agissait tout simplement de la fille
d’Eddie Constantine. Cet acteur avec une vraie « gueule » de cinéma
m’avait épaté dans "Alphaville" (1965) de Godard avec la mystérieuse Anna
Karina. Certes, il s’agit là d’une belle digression, qui n’a d’autre intérêt
que de rappeler à quel point le cinéma de la nouvelle vague était littéraire
(on lit beaucoup de poésie dans ce film de science-fiction) et que s’il me
fallait une raison supplémentaire de lire Barbara Constantine, ce serait de
sentir par-dessus mon épaule les yeux d’Eddie, de Jean-Luc et d’Anna se plonger
dans l’histoire de ses personnages. Pas de vie de l’esprit sans vieilles
références poussiéreuses.
L’une de nos
interrogations de départ était de nous demander si la littérature contribuait
ou non à véhiculer les stéréotypes de la vieillesse. Pour le meilleur (sagesse,
transmission, distance vis-à-vis des futilités matérielles) et pour le pire (la
décrépitude du corps, la perte de lien social, la fuite de la mémoire). En
écoutant Vefa nous parler de Mélie et de Marceline, je sens que même si on
ne peut pas facilement échapper à une partie de ces stéréotypes – sans doute
parce qu’à l’approche de la mort une dimension universelle semble rapprocher
les êtres – l’important est d’abord l’épaisseur et l’accent de vérité que la
romancière a su donner à ses personnages. Or, j’ai comme l’impression que Vefa y a trouvé tout cela. A propos du roman "Et puis Paulette",
(Yves Montand en mobylette ou Maître Gimms en bicyclette ?) Efisio a
souligné à quel point l’intervention d’une tierce personne, ici une
adolescente, peut faciliter le lien entre les générations. Ainsi selon lui
lorsque des parents peinent à aborder certains sujets avec leurs enfants, la
présence d’autres adolescents ou de grands-parents permet souvent faire passer
le message en contrebande.
Restons auprès
des anciens avec un livre de Pierre
Rabhi présenté par Delphine (bien que Stéphane ait tenté de raconter
l’histoire à sa place).
Ce récit intitulé "Le gardien du feu" établit la
jonction entre le dernier thème sur l’enfance et celui-ci sur la vieillesse.
J’oublie le sous-titre : Message de
sagesse des peuples traditionnels. Stéréotypes disions-nous ? Non, car
d’une part quand on est con, on est con et le temps ne fait rien à l’affaire
(un certain ministre de l’économie très vieux aimera toujours que les jeunes
rêvent d’être milliardaires et n’aura jamais la plume de Pierre Rabhi), et
d’autre part, il s’agit du message des
peuples traditionnels et pas seulement de l’auteur lui-même.
A partir d’une
histoire autobiographique et romancée, on suit l’itinéraire d’Ahmed destiné à
devenir forgeron comme son père. Or, avec l’arrivée des multinationales dans un
pays sans développement, mais non sans culture, le digne métier de forgeron
dans une société de petits producteurs indépendants et complémentaires,
remplissant chacun une fonction propre (ce que le sociologue Emile Durkheim appelle
la solidarité organique), va être remplacé par une aliénation salariale. Pierre
Rabhi en profite pour nous montrer combien la prédation d’une FMN et un modèle
unique de développement centré sur la rationalisation du temps et
l’exploitation des hommes et de la nature peut bouleverser un peuple, un
environnement et faire disparaître un monde. Le père forgeron abandonnera donc
sa condition de salarié opprimé, pour faire une palmeraie et retrouver une vie
simple mais libre, que l’on pourrait qualifier de « sobriété
heureuse ». Une façon pour Pierre Rabhi d’accorder à son père une belle
revanche à titre posthume.
Stéphane nous a
proposé un rapprochement entre le récit de Pierre Rabhi et "L’éloge de la
vieillesse" d’Hermann Hesse. Dans
le temps sans calendrier et sans véritables horaires de la vieillesse, la vie
quotidienne peut prendre une dimension surréaliste et en devenant irrationnel
(ce qui ne signifie pas que l’on est fou) le comportement peut devenir plus
insouciant et libre. Nous serions ainsi esclaves de la rationalisation du
monde, d’une course sans fin vers la performance et l’efficacité qui tel
Sisyphe ne nous réserveraient que des vies absurdes. C’est en partant de là que
l’on peut comprendre le mouvement « slow » qui vise à lutter contre le
stress de la vie moderne.
Et si la civilisation n’était ni dans le progrès
technique, ni dans la domestication de la nature ? Et si la vérité était
ailleurs ? (les fans trouveront).
Nous nous sommes
quittés sur une discussion autour de nos gouvernants dont l’âge avancé et la
soif de pouvoir évoquent une possible
gérontocratie. Si certains économistes et sociologues font en effet des
inégalités générationnelles une nouvelle clef de lecture des rapports de
pouvoir au sein de nos sociétés, il ne faudrait pas oublier que les rapports de
classes sont toujours bien présents et qu’ils transcendent les générations. La
grande bourgeoisie n’a pas d’âge : elle se nourrit du monde et le façonne
à son image.