La vieillesse 2e partie
Pour nous familiariser avec cet auteur connu de lui seul
autour de la table (au-dessus de laquelle flottaient sinon nos boissons, du
moins nos attentions concentrées), il nous a donné quelques éléments de
biographie :
Robert Heinlein est né dans une petite ville du Missouri en
1907 ; après ses études, il devient lieutenant de la Marine américaine,
puis doit quitter cette carrière pour cause de tuberculose.
Après la Grande Dépression, il s’investit dans un parti
politique d’obédience socialiste : « EPIC »
A cette période, il se met à rédiger des nouvelles et à les
vendre ; à cette occasion il gagne 50 dollars pour l’une de ces nouvelles : l’équivalent de 3
pick-up de nourriture !
Son écriture l’emmène vers les premières rives de la
Science-fiction, dont il est reconnu comme étant l’un des grands pionniers. Sa
connaissance pointue des sciences technologiques de son temps, donne une
dimension si « réaliste » et précise à ses écrits, qu’ils influencent
politiquement et scientifiquement la Direction du développement de la NASA.
Certaines de ses nouvelles sont produites en séries TV pour
un public adolescent.
Robert Heinlein influence donc la société dans laquelle il
vit grâce à sa littérature « scientifique » et d’anticipation.
Puis Stéphane H. nous guide vers Le Ravin des Ténèbres :
Un homme , propriétaire d’un empire industriel, vit sous assistance médicale
permanente. Il dirige sa recherche, grâce à l’avancement de ses connaissances
sur le cerveau, vers l’obtention légale d’un corps humain, en état de mort cérébrale.
Sa demande est étudiée par la Cour Suprême, qui lui accorde le droit de
s’approprier un corps décédé, et de maintenir son identité sociale. Il peut
donc ainsi conserver la propriété de son Empire industriel.
Lorsqu’il se réveille de son coma provoqué, son cerveau est
greffé dans un corps. Quelques temps plus tard, il cherche à se regarder dans
un miroir : il est incarné dans un corps de femme – celui de l’assistante
qui l’accompagnait dans ses recherches, morte lors d’une agression criminelle.
Il lui faudra donc trouver à apprivoiser ce corps doublement étranger…et il y
sera aidé par une intuition venue des tréfonds de lui-même. Mais est-ce bien lui-même ?
Ce récit rappelle à Efisio un ouvrage de JF Matéi et de
I.Nizan, qui fait état des recherches menées sur le cerveau, et des sommes qui
y sont consacrées par l’Europe sous l’impulsion de riches personnages qui
souhaitent se maintenir en vie le plus longtemps possible. Cette crainte de la
mort et de la non acceptation de la fin d’une existence humaine lui semble
manquer de la sagesse fondamentale : un homme a à léguer son savoir à des
« apprentis » qui le
dépasseront en connaissance, savoir-faire…il aura accompli sa mission sur
terre. Ce qui apparaît à Efisio comme une condition du bonheur…
Stéphane H. indique un autre ouvrage de Robert
Heinlein : Stranger in strange
land (traduit en français : En Terre
étrangère).
(fiche de lecture envoyée par Stéphane H. )
Stéphane LP s’installe à ce moment aux commandes de notre
véhicule orbital pour nous emmener survoler le Japon et nous poser sur les
hauteurs de Narayama.
Narayama est le nom de la montagne qui surplombe un village
décrit par Fukazawa dans son ouvrage éponyme, paru en 1956. Dans un contexte de
famine, ce récit décrit la vie de villageois que leurs traditions,
essentiellement orales, incitent à accompagner à la mort les personnes âgées en
les emmenant durant l’hiver, lors de conditions favorables à certains esprits,
dans un endroit secret de la Montagne. L’Ancien guide le Jeune qui le porte, qui
apprend ainsi le chemin, comme lui-même l’a appris de l’Ancien qu’il a porté
jusque là-bas.
Dans ce récit, une mère se sent prête à accomplir ce voyage,
et demande à son fils de l’y porter. Mais ce fils, aimant, n’est pas prêt à la
laisser partir. Elle le convaincra par divers moyens (certains d’une brutalité
assumée) et, l’un portant l’autre – le fils physiquement, la mère psychiquement
- vers la séparation, ils vivront
un chemin initiatique ensemble dans la blancheur de la Montagne enneigée – le
blanc est couleur de deuil au Japon. Un pendant moins heureux de ce chemin est aussi narré dans ce récit, où l’Ancien est emmené contre sa volonté par un fils qui trouve ainsi un moyen de se
débarrasser de lui.
Nous retrouvons les pensées d’Efisio sur la sérénité de
l’âge, vis-à-vis du passage qui l’attend, rendu sensé par les transmissions
réalisées pour les générations suivantes – qui vont elles-mêmes porter à travers les années, ces savoirs, poursuivant le maillage de la
chaine de l’humanité. Efisio, prenant les commandes, nous emmène vers l’Italie, à la rencontre
d’un personnage raconté par sa petite-fille : La Finisseuse (S’accabadore), de Michela Murgia. Cette
petite-fille raconte les disparitions nocturnes de sa grand-mère, à l’époque de
son enfance – qu’elle comprend à présent : sa grand-mère était une
« finisseuse » qui accompagnait par l’euthanasie, les personnes
souffrantes à la mort.
Soudain, Efisio, actionnant les manettes d’une manière
imprévue, nous ramène d’une brève poussée vers l’Asie pour nous évoquer la
question de l’honneur, qui serait une forme de « réserve », qui,
épuisée, mènerait à l’opprobre sociale, au rejet et donc au suicide.
Delphine anime notre écran mental vers une
nouvelle direction : brièvement, nous nous dirigeons vers les contrées
nordiques de l’Europe, où régnaient les Vikings, attachés eux aussi à la
question de l’honneur, qui, intact, permet d’aller festoyer avec les dieux.
Efisio achève sa tâche de guide à travers l’Asie et ses
philosophies qui animent la vie de tous les jours, par l’évocation des
pratiquants du Taï-chi, très âgés, qui, par leur souplesse corporelle
ressemblent à « des gamins de cinquante ans » (sic). Il conclut en
affirmant que « la sagesse est une richesse » et compare cette réflexion avec l’histoire développée dans le
film de Joel Schumacher L’expérience interdite, dans laquelle les
consciences des personnes décédées restent imprégnées de leur vécu terrestre et
cherchent à assouvir leurs vengeances au-delà de la vie.
Raphaël évoque
alors, en lien avec ces réflexions sur la mort, les Thanatonautes, de Bernard Werber.
J’ose alors me placer aux commandes de notre véhicule
interstellaire pour nous emmener au-delà des mondes connus, vers celui, décrit
par Terry Pratchett, nommé le « Disque-monde », qui se meut, posé sur
le dos de 4 éléphants géants, eux-mêmes installés sur le dos de la Grande
Tortue A-Tuin.
Je souhaitais en effet faire découvrir aux membres de notre
équipage qui ne le connaîtraient pas déjà, le très ancien Cohen Le Barbare,
légende vivante – quoiqu’édentée - du
Disque-monde. Dans Le Huitième Sortilège, Cohen apparaît dans une tente de barbares nomades par la
réplique suivante :
« -Qu’èche vous dites ? »
Puis à la question « Quelles sont les plus grandes
choses pour un homme dans la vie ? » Cohen « réfléchit dur,
longtemps, et répond[it] posément : « De l’eau chaude, une bonne
dentichterie et du papier hygiénique double épaicheur. » Ça laisse rêveur,
néchéchairement…
Ainsi assurée d’avoir attiré l’attention de l’auditoire (de
toute manière coincé dans l’habitacle avec moi) j’ai évoqué Cohen à travers les
yeux ébahis de Deux-Fleurs, premier Touriste du Disque-monde, venu de
lointaines contrées jusqu’à Ank-Morpork, la pestilentielle, au-dessus de
laquelle émerge la Tour des Magiciens : l’Université Invisible. Rincevent,
anti-héros favori de Pratchett, y joue le rôle de guide à ce précieux Touriste,
qui entre autres curiosités, souhaite voir Cohen Le Barbare, fabuleuse Figure
du Disque.
Par une série d’incroyables hasards, Rincevent fera les
présentations entre Deux-Fleurs et Cohen, qui appréciera beaucoup les
« jyeux » du Touriste.
Extrait :
« - Je n’arrive pas à le croire ! fit une voix
derrière eux. Me voici en compagnie de Cohen Le Barbare ! »
C’était Deux-fleurs. Depuis le matin, il avait tout du singe
qui a trouvé la clé de la bananeraie, dès l’instant précis où il avait
découvert qu’il respirait le même air que le plus grand héros de tous les
temps.
- Est-che qu’il che moquerait, des fois ? fit Cohen à
Rincevent.
- Non. Il est tout le temps comme ça. »
Cohen se retourna sur sa selle. Deux-fleurs lui adressa un
sourire radieux et agita fièrement la main. Cohen reprit sa position et grogna.
- Il a des jyeux, non ?
- Oui, mais ils ne marchent pas comme ceux de tout le monde.
Sans blague…[…]
- Ch’est un fou ?
- Un genre de fou. Mais un fou qui a beaucoup d’argent.
- Ah, alors che n’est pas jun fou. J’ai pas mal roulé ma
boche ; cheux qui ont beaucoup d’argent, che chont des jekchentriques. »
Le héros se retourna une fois encore sur sa selle.
Deux-fleurs racontait à Bethan [vous vous souvenez ? Le jeune femme qui
était très en colère d’avoir été sauvée du sacrifice qui, pour s’en rendre
digne, lui avait coûté tous ses « samedis soirs »…] comment Cohen
avait vaincu d’une seule main les guerriers serpents du seigneur sorcier de
S’Belinde et volé le diamant sacré à la statue géante d’Offler le Dieu
Crocodile.
[…]
« En tout cas, ches jyeux me plaijent bien. Ils
arrivent à voir à chinquante ans de dichtanche. »
A la croisée du chemin de Cohen et de ses acolytes, été
évoqués Umpapa de René Goscinny et Kerity
et la maison des contes, film d’animation franco-italien (2009) de
Dominique Monféry, pour compléter un des fils conducteurs des récits de
Pratchett (tels La Nuit du Porcher ) :
si les croyances disparaissent, les personnages légendaires (personnifications
de croyances et de valeurs) aussi…
Stéphane H. (il ne reste d’ailleurs plus que ce Stéphane,
l’autre, profitant d’une escale, ayant déserté notre fusée - souffrant peut-être du mal de l’espace,
ou d’une nostalgie trop vive du giron
d’un vieux lecteur sis au fond d’une jungle bien terrestre) indique une lecture
narrant les extraordinaires aventures d’un Cohen encore plus âgé, souhaitant
réaliser son dernier exploit avant d’aller se reposer auprès des Dieux au
Walhalla : Le Dernier Héros.
Insertion par Raphaël (comme nous sommes dans un
habitacle interstellaire, vous pouvez vous le faire genre Voix Off « HAL »
ou, variante ? « Dieu »):
« Je crois me souvenir que le vieux Conan y rassemble
une bande de vieux briscards décrépis pour une dernière aventure (rendre le feu
aux dieux) ».
J'avais prévu de mon côté de vous parler des Phalanges
de l'ordre noir bande-dessinée d'Enki Bilal et Pierre Christin. Il
s'agit aussi d'une bande de vieux (et vieilles), ancien-ne-s républicain-e-s
ayant fait la guerre civile espagnole, qui reprennent du service pour lutter
contre d'anciens franquistes qui sévissent à nouveau. Réflexion sur le
vieillissement des corps, des idéaux et des engagements, des histoires d'amours
plus ou moins fanées, mais aussi sur la violence et le terrorisme.
Cet album, comme d'autres de Bilal (en particulier la
trilogie Nikopol) a participé à l'émergence de ma conscience politique et m'a
fait basculer dans une Bd plus adulte que la Bd franco-belge traditionnelle. »
Ça rassure, que Dieu ait des références franco-belges,
non ?
Stéphane H. nous apprend que les dieux sont défavorables à la réussite
du défi de Cohen et piperont les dés de la chance : le Al-zahr limité
par la Toute-puissance divine…
La notion de limite est reprise par Aimé qui nous emmène à
une frontière où un panneau, planté par Romain Gary, nous indique que « Au-delà
de cette limite, votre ticket n’est plus valable ».
Nous en prenons bonne note et examinons de plus près la carte grâce à la
lecture éclairée d’Aimé : il s’agit en fait d’un territoire du Tendre dans
un univers capitaliste. Un industriel cherche à vendre son entreprise car il a
des difficultés financières qui l’y contraignent : après une apogée de
réussite professionnelle, il se sent sur une pente qui ressemble bien à un
déclin – déclin qu’il ressent aussi dans sa vie privée, avançant en âge et se
pensant de moins en moins capable de satisfaire aux appétits sexuels qu’il
présume chez sa jeune compagne. Afin de manifester son amour pour elle, qu’il
relie à la sexualité, il l’oriente vers des conquêtes masculines. Son obsession
de la performance sur le plan professionnel trouve ainsi son reflet sur le plan
personnel – le couple répond-il à une logique de Marché ? Si l’offre ne
répond pas à la demande, que se produit-il ? Quelle est l’économie du
couple ? Telles sont (si j’ai bien suivi les lignes de niveaux dessinées
par Aimé) les questions sous-jacentes de ce roman, écrit par Romain Gary au
crépuscule de sa vie (il se suicide en effet peu de temps après l’écriture du
livre, quelques semaine après que sa femme, Jean Seberg, se soit elle-même
donné la mort).
Cela m’évoque un récit autobiographique de la première femme
de Romain Gary, Lesley Blanch : Voyage
au cœur de l’esprit – où elle dessine la figure
d’un Russe des confins Mongols, apparemment diplomate, sans doute espion, et
qui venait lui raconter des histoires et l’instruire sur la vie (une vie
incroyablement surprenante, riche et trépidante) dans sa chambre d’enfant londonienne. Figure
si forte, si intense, qu’elle occultera
pour longtemps l’attrait des jeunes hommes pour Lesley – qui ne trouvera qu’en
Romain Gary un peu de l’essence slave qui a tant marqué son enfance, son
adolescence, ses fantasmes.
Nouvelle insertion de Raphaël (Voix Off) :
« Toujours très et trop gourmand, j'avais aussi amené
un court roman d'Erri De Luca dont je t'avais un peu parlé au téléphone : Trois
chevaux. »
L'histoire d'un homme, la cinquantaine, qui revient en
Italie après avoir combattu et fuit la dictature argentine de la période
1976-82.
Italien, jardinier et lecteur autodidacte, le personnage
principal a les mains dans la terre et l'esprit dans les étoiles et dans les
livres. Il s'est frotté au monde et à ses horreurs (sa femme en Argentine a
succombé à la dictature).
Bref ce personnage rencontre une jeune femme - Làila - dans
un bar et vit une nouvelle histoire d'amour.
Retour à la sexualité avec une belle prose poétique de
l'auteur... et un stéréotype sur la vieillesse : les hommes d'âge mur
rencontrent des femmes plus jeunes, rarement l'inverse.
En l’occurrence celle-ci est une prostituée...
Une phrase tout de même parmi les passages que j'avais
l'intention de vous lire :
"Elle s'appelle Làila, un accent en forme de tuile
résonne sur la première voyelle, deux syllabes de berceuse."
Simplicité, fluidité et beauté. J'aimerais lire l'italien. »
L’Italien de notre aventure nous aurait quant à lui bien
parlé encore de Montesquieu et de ses Lettres
persanes et de Edouard Schuré et de ses Grands
initiés (Esquisse d’une histoire secrète des religions)… qui m’évoque pour
ma part les recherches de Mircéa Eliade sur le même thème.
Delphine nous ramène alors quant à elle en France, vers
Edgar Morin, dont La Voix l’a marquée…Mais nous l’entendrons
quant à nous une prochaine fois, car notre véhicule réclamant de substantiels
carburants tels que surveillance d’enfants au bercail, sommeil ou nourriture
peut-être, nous revenons dans l’espace-temps de l’Auberge du Petit Bonheur où
François, une nouvelle fois un peu laissé à nos frontières hélas, nous aurait
bien parlé de la Bd Les vieux
fourneaux de Lupano et Cauuet.
Ainsi que des Mémoires
de mes putains tristes de Gabriel Garcia Marquez…
Nous en serons quittes pour nous retrouver encore,
inassouvis de cet appétit littéraire qui nous anime – au sens propre :
nous voici en effet déjà en mouvement vers une prochaine exploration sous le
thème du vagabondage et de la liberté !
Bon atterrissage, et belle préparation de votre prochaine
aventure littéraire : j’ai hâte de voir ce que vous apporterez dans vos Bagages…Ceux
de l’esprit étant les moins pesants et ceux de Deux-Fleurs les plus amusants ou
terrifiants…(Avec Pratchett on ne sait jamais très bien quelle émotion
prédomine).
Gaëlle.