Enfin la rentrée des classes 2017
pour le café littéraire de Le Verger ! Englouti-e-s les un-e-s et les
autres par les déferlantes du mois de septembre, nous n’avions pas su trouver
une date qui convienne à toutes et à tous. Il faut croire que ce n’était que
reculer pour mieux sauter. Ce report et un heureux concours de circonstances
nous ont permis d’élargir notre cercle en accueillant Françoise Biger, membre
de l’association Dixit Poétic, administratrice à la Maison de la poésie de
Rennes et toute nouvelle vergéenne. Une belle recrue aux goûts alexandrins qui
n’a pas manqué de réjouir Gaëlle, fin gourmet de stances et de sonnets.
D’une
hospitalité sans pareille, nous offrîmes à notre invitée la possibilité
d’ouvrir les débats. Françoise était venue avec un écrivain italien, Erri De Luca, à la fois auteur de
romans et de poésie. Bien qu’elle nous confia avoir parfois éprouvé le
sentiment d’une certaine posture dans l’écriture et une répétition des structures narratives par la mise en
scène d’un personnage solitaire, réfugié dans les plis de sa mémoire (ce qui
sortit de la brume des souvenirs de lecture de Trois chevaux), elle
défendit chaudement La Nature exposée, son dernier roman paru en mars
2017.
"Comme tu peux le
voir, il s'agit d'une œuvre digne d'un maître de la Renaissance. Aujourd'hui,
l'Eglise veut récupérer l'original. Il s'agit de retirer le drapé".
Dans
une écriture subtile, discrète, Erri De Luca donne vie à un sculpteur chargé de
restaurer l’originalité d’une sculpture du Christ en croix en dévoilant toute
sa nudité. Retirer le drapé de pierre pour faire apparaître le sexe présent dès
la conception de l’œuvre. L’occasion pour le romancier de convier son lecteur à
un questionnement sur l’art, l’amour, la théologie, comme dans plusieurs de ses
récits précédents. Pour Stéphane L, ces premiers pas dans ce roman italien
évoquent Le Pape des escargots d’Henri Vincenot où, en Bourgone cette
fois, il est également question de sculpture, de mysticisme et de retrait du
monde. Mais, dans le texte d’Erri De Luca, le ciel et la terre se rejoignent
pour évoquer la dure actualité de la question migratoire. Le personnage
principal est un esthète capable de s’interroger sur les écailles du pied du
Christ, de prendre le plus grand soin d’un sexe de marbre en érection, et de
faire passer la frontière à des migrants en quête d’asile. Une façon de rappeler
le véritable amour du Christ pour les damnés de la Terre ? Rien de
surprenant pour qui aurait suivi l’engagement d’Erri De Luca dans de multiples
causes environnementales et sociétales (son combat contre la ligne TGV
Lyon-Turin pour lequel il fût poursuivi en justice pour « incitation au
sabotage »).
Une émission de France Culture
pour aller plus loin sur l’écrivain italien :
Soucieuse de faire circuler la
parole au sein de notre fragile agora, Françoise ajouta brièvement quelques
mots sur Elfriede Jelinek, romancière
autrichienne, autrice de La pianiste (connu grâce à l’adaptation
cinématographique de M. Haneke) et prix Nobel de littérature en 2004. Elle nous
invita à lire Les Amantes, roman de 1975 mettant définitivement un terme
à une spécialité autrichienne : l’idylle. Ou comment réussir son mariage
et échapper à son destin – si cela est possible – lorsque l’on est une femme de
condition ouvrière. Deux personnages féminins contrastés vont servir de trame à
la « leçon de vie » d’une romancière iconoclaste qu’il ne faudrait
pas négliger.
Stéphane
H, tirant le fil d’une pelote de mots tricotés lors d’un atelier d’écriture
estival chez Gaëlle, prit la main pour nous présenter un livre sur Carl Gustav
Jung (médecin psychiatre et fondateur de la psychologie analytique que l’on
peut découvrir dans A dangerous method de David Cronenberg) et les synchronicités. Intitulé Jouer avec
les synchronicités dans la vie quotidienne, le livre de Robert Moss ne manqua pas de nous
interroger sur les subtilités d’un champ lexical cheminant de coïncidences, à hasards, en passant par le petit bois des sérendipités. Le terme de synchronicités,
forgé par Jung, désigne d’heureux hasards reliés par leur sens et non par leur
cause. De sublimes coïncidences qui nous feraient presque croire à la magie des
astres. Un exemple ? A l’origine d’une
initiative citoyenne sur l’accueil des réfugiés, je m’étais promis de
rencontrer depuis déjà plusieurs semaines une personne de la Maison de la
poésie de Rennes, devenue partenaire et soutien du projet Asylum. François
m’avait bien indiqué que nous aurions la chance de faire la connaissance de
Françoise, mais le fait qu’elle soit l’une des administratrices de cette
association fût pour moi une véritable bénédiction du hasard. Une mamelle du
destin pour citer l’ami Boby Lapointe.
Les provisions de Stéphane H.
faites de mots et de livres étaient plus qu’alléchantes. D’autant plus qu’il
nous fit voyager dans nos années collège/lycée en partageant généreusement sa
lecture du Cid de Corneille.
Les répliques cultes ne mirent pas longtemps à fuser, mais notre curiosité
était surtout orientée vers le plaisir de lecture de l’intéressé : le
dilemme cornélien entre Rodrigues (assassin du père de sa promise pour laver
l’honneur de son propre père) et Chimène (jeune femme déchirée par l’amour et
le deuil) a-t-il conservé toute sa force dramatique ? Stéphane H. nous
rassura sur ce point et Françoise nous garantit la postérité de l’œuvre grâce à
des clins d’œil présents dans le film Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré
(1993). Va Corneille, je ne te hais point.
Un peu de documentation pour aller + loin sur Le Cid : ici et là
Un peu de documentation pour aller + loin sur Le Cid : ici et là
Une
belle digression sur les formes du lien social dans les sociétés modernes, liée
à une première évocation de l’honneur comme valeur première des sociétés
traditionnelles servant de décor au Cid, permit à Françoise de se faire rapidement
une idée sur la manière de fonctionner de notre cercle littéraire. Une espèce
de sainte trinité : des livres, des victuailles et de grandes chevauchées
à califourchon sur le dos du monde. Elle s’y sentie en parfaite harmonie.
Une balade au festival de poésie
de Douarnenez cet été, assortie d’une déambulation dans un salon où étaient
présents divers éditeurs, incita Gaëlle à cueillir un livre de Bernard Bretonnière, Pas un tombeau,
aux éditions L’œil ébloui.
« Mon
père pudique est-ce que j’ai droit de te dire je t’aime le droit d’écrire sur
toi maman veut pas ça : « impudeur indiscrétion » elle dit « pas
étaler sur la place publique pas révéler des secrets de famille les gens n’ont
pas à savoir quand même » alors si j’ai pas droit pardon pardon pardon.
Mon
père inventé vrai. »
Dans un texte mêlant prose et
poésie, l’auteur dessine en plusieurs séquences un portrait de son père vivant.
Un éclat de littérature transformant l’intime en universel. Sans idolâtrie ni
règlement de comptes. Mais aussi une interrogation secrète pour chacun-e
d’entre nous : que nous sommes capables d’écrire à ceux-celles qui nous
sont chers pour leur témoigner notre affection, notre amour ? A l’heure
d’une impudique et artificielle télé-réalité, il est merveilleux de constater
que des écrivains-poètes ouvrent des chemins littéraires aux lecteurs
audacieux. A noter que Bernard Bretonnière est actuellement en résidence à
Combourg et qu’il écrit sur les migrations. Ecrivain engagé, il accueille
régulièrement chez lui une personne migrante en lien avec des associations.
Trois rendez-vous sont organisés avec l’auteur par la Maison de la poésie de
Rennes à la médiathèque de Combourg, dont un le vendredi 8 décembre sur la
thématique des migrations avec le collectif d’artistes L’Art au Champs.
Gaëlle nous a également présenté
un alléchant roman islandais de Kristin
Marja Baldursdottir : L’esquisse d’un rêve. Il s’agit d’une
véritable épopée familiale faisant le portrait de Steinunn, mère courage, veuve
d’un pêcheur disparu en mer, et responsable de six enfants. Elle choisit de
quitter sa ferme prospère pour scolariser ses enfants, leur offrir une autre
vie dans une autre région au nord de l’Islande. Pour cela, la famille devra effectuer
une longue migration intérieure. L’une de ses filles, la lumineuse Karitas, qui
donne son nom au titre du roman, cherchera à devenir peintre par tous les
moyens et se heurtera farouchement à la tradition en allumant les premiers
flambeaux du féminisme dans ce début du XXe siècle. Repérée par une
femme de la bourgeoisie, elle-même peintre, elle s’inscrira à l’école des
Beaux-Arts de Copenhague pour réaliser son rêve d’émancipation et d’accomplissement
de sa fibre artistique, avant de revenir au pays et de tomber amoureuse…
Un essai
historique vint compléter ce premier tour de chauffe littéraire. Aimé nous a
apporté L’Histoire de la Rome Antique – Les armes et les mots de Lucien Jerphagnon. L’occasion de
combler nos lacunes sur la célèbre cité romaine en parcourant les trois grandes
périodes découpées par l’historien : Les Rois étrusques, La République,
L’Empire. Ce livre pétri d’érudition et d’humour permet au lecteur de se
débarrasser des clichés tenaces forgés par le cinéma, les séries TV et parfois
même le roman, courant sur les douze siècles de l’histoire romaine.
Après
cette plongée dans le passé, c’est vers le futur qu’Aimé proposa de nous
emmener : Histoire du siècle à venir de Philippe Fabry tente de prédire le futur à partir des cycles de
l’histoire. Un pari osé qui nous laissa un peu dubitatifs… mais il serait
hasardeux de trancher prématurément sans avoir parcouru les réflexions de
l’auteur.
De mon côté, une partie des
lectures de l’été fut consacrée à des auteurs et livres abordés lors des
précédents cafés littéraires. Une forme de sédimentation si on veut. Du Talon
de Fer de Jack London, racontant
sous la forme d’un récit d’anticipation les soulèvements ouvriers contre une
dictature oligarchique, à Luis Sepulveda
pour Le vieux qui lisait des romans d’amour (récit ethnologique et
écologique qui confirme les qualités de l’auteur souvent vantées par Stéphane
L.), en passant par une nouvelle de Metin
Arditi parue dans un hors-série du journal Le Un sur la relation entre Vincent
Van Gogh et son père, ou encore Ce qu’il advint du sauvage blanc de François Garde, j’ai eu l’occasion de
tester la variété des genres et des styles de notre petite bibliothèque
commune.
Il serait trop long et fastidieux de revenir ici en détails sur chacun de ces livres. On retrouvera cependant très bientôt, en guise de compensation, un long extrait du Talon de Fer de Jack London dans les extraits de texte du blog.
C’est Stéphane L. qui se chargea
ce dimanche 1er octobre de clore de belle manière notre première
rencontre de l’année. Venu avec un numéro du Serpent à plumes consacré au Japon
(n°19 de la collection), il nous présenta une nouvelle d’un des auteurs qu’il
affectionne beaucoup et dont nous avons
déjà parlé : Haruki Murakami.
Dans cette nouvelle fantastique, intitulée TV People, des personnes un
peu étranges surgissent à l’improviste dans le domicile d’un individu pour lui
installer d’autorité une télévision. Le
personnage semble subir la situation en même temps qu’il découvre que sa femme
s’apprête à le quitter. Un climat décalé, presque absurde, à peine inquiétant,
à partir duquel le lecteur peut tirer autant d’interprétations qu’il veut. Il
aurait été inconvenant de la part de Stéphane de nous laisser un mois sans
provision de mots de Luis Sepulveda.
Dans le recueil de nouvelles Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre,
les récits Une maison à Santiago, Ce que j’ai perdu dans le train ou Le répondeur automatique, donnent
l’occasion à l’écrivain chilien de mettre en relief une banale réalité
quotidienne par le prisme de la littérature et de son style impressionniste.
Au
milieu d’un après-midi déjà bien entamé, les seconds tomes de Tobie Lolness
de Thimotée de Fombelle et de Lonesome
Dove de Larry McMurtry auront été évoqués très rapidement par Stéphane pour
nous confirmer tout le plaisir de lecture qu’il avait ressenti au début de ces
deux récits. Qu’à cela ne tienne, ils sont rangés bien au chaud dans la petite
bibliothèque du blog et nous saurons y revenir avec une providentielle
sérendipité ;)
PS : dimanche où nous
découvrîmes aussi que Françoise était une grande amatrice de Science-fiction,
ce qui plut derechef à Stéphane H. Son conseil du jour, à l’occasion d’une
digression : La horde du contrevent d’Alain Damasio. Avis aux passionné-e-s…
Raphaël