jeudi 19 mars 2015

Thème libre - mercredi 18 mars 2015

   Le 2e café littéraire de Le Verger s'est tenu comme annoncé dans la feuille vergéenne ce mercredi 18 mars au Bar Le P'tit Bonheur. La très classique interrogation du verre à moitié vide (damned !) ou à moitié plein (Yep !) s'est invitée sans bruit ni fureur : nous n'étions certes que quatre autour du totem de Gaston Lagaffe - Delphine, Geneviève, Stéphane et moi-même - mais le but initial a été atteint avec enthousiasme : évoquer à bâtons rompus des livres qui nous tiennent à cœur et qui très vite appellent à de multiples digressions sur des films, d'autres livres, des regards sur le monde et bien sûr de sérieux fous rires !

 

   Stéphane nous a piégé avec le très addictif recueil Les Miscellanées de M. SCHOTT du bien nommé Ben SCHOTT aux éditions Allia (2005). Tentative d'encyclopédie, de "notes pour mémoire" ou de listes farfelues, ce livre indéfinissable aborde de sauts en gambades la classification de la taille des icebergs, la liste des maris de Liz Taylor ou encore les morts absurdes des rois de Birmanie. Il est rare de satisfaire toutes les curiosités avec autant de brio.

 

Venu également avec une bande-dessinée du talentueux mangaka Jiro Taniguchi, L'homme qui marche, Stéphane a ouvert la voie à une indispensable thématique Bd que nous consacrerons forcément tôt ou tard à un café littéraire spécial monde de bulles.

  Nous avons réussi à quitté M. SCHOTT, à dos d'éléphants birmans, pour rejoindre l'univers de Martin WINCKLER que Geneviève nous a présenté. Son roman Le Choeur des femmes présente l'itinéraire d'une jeune interne en hôpital se destinant à la chirurgie gynécologique. Ambitieuse, et soucieuse du geste chirurgical technique, froid et dénué de tout affect, elle sera pourtant contrainte de faire un stage auprès d'un médecin généraliste lui enseignant les mérites de l'écoute et des relations avec ses patientes. Conduite à changer son regard sur le corps féminin et la médecine, ce personnage sera transformé par son expérience. Le Barberousse de Kurosawa ne semble pas loin et la discussion s'est vite animée autour des figures littéraires de femmes indépendantes ou soumises à l'ordre social.

            

   De femmes, il a encore été beaucoup question dans cette soirée quand Delphine nous a initié à l'éco-féminisme. Les entretiens accordés par la physicienne Vandana Shiva  à Lionel Astruc dans Pour une désobéissance civile créatrice (éd. Actes Sud) nous emmènent en Inde au cœur d'un projet altermondialiste qui redonne aux citoyens - et aux femmes - leur autonomie de décision. Après avoir défendu l'idée que les paysans du monde entier doivent pouvoir accéder librement aux graines et aux variétés de plantes sans dépendre des brevets de grandes multinationales, Vandana Shiva fait le lien entre l'attention portée par les femmes à leur entourage immédiat (le foyer, les enfants), leur rapport à la nature, à la terre et le refus d'une logique de rendement-exploitation de la nature dans laquelle les hommes tombent trop souvent. Si nous n'avons pas tranché la question de l'inné et de l'acquis, nous avons beaucoup discuté l'idée que le caractère féminin, son ethos de valeurs, est autant construit par la division sexuelle et traditionnelle des tâches que par une éventuelle essence féminine.


   La ronde dansante du débat nous a ramené au second livre de Geneviève qui, comme Stéphane, a décidé que l'on n'est jamais aussi bien accompagné que par deux livres. Je dois dire ici que cette gourmandise nous a beaucoup plus. Son second choix nous a transporté vers le monde de Tétrah, où les quatre éléments sont préservés par des gardiens devant cependant se trouver des successeurs. Dans le 1er tome d'Anne PAGET intitulé Tétrah, les serviteurs de l'eau, nous faisons la connaissance d'Awa, fille du roi Kôm qui refuse un mariage de circonstances. Sans le savoir, elle est l'élue que recherche le gardien de l'eau. Roman de fantasy, à la lisière de la littérature jeunesse et adulte - mais faut-il vraiment lui trouver une case ? - cette histoire est un hommage à l'eau et une invitation au merveilleux.

   Attablés devant nos tisanes fumantes, nous avons laissé à George ORWELL, l'auteur de 1984, le soin de clore ce tour d'horizon littéraire. Dans Le Quai de Wigan, écrit en 1937, l'auteur britannique marche dans les pas de Jack London en allant à la rencontre de la classe ouvrière du nord industriel de l'Angleterre et plus particulièrement des mineurs. Sa peinture des travailleurs anglais est dénuée de tout jugement moral, de toute condescendance. Il prend même le soin de démonter les préjugés de la bourgeoisie sur la pauvreté et sur le mode de vie des ouvriers privés de tout. A mi-parcours, le livre quitte le reportage pour s'orienter vers une réflexion sociologique sur les classes sociales anglaises, puis une analyse politique des rapports entre socialisme et fascisme, à l'heure où l'Allemagne est déjà tombée dans les mains d'Hitler. On peut y lire ces lignes surprenantes qui ne sont pas sans faire écho à la situation actuelle :

"Mais ce qui m'intéresse en ce moment, c'est la mentalité fasciste qui, indubitablement, gagne du terrain parmi des gens que l'on aurait pu croire a priori les mieux immunisés contre ce type de pensée. Le fascisme de l'intellectuel est une sorte d'image renversée, comme dans un miroir, non pas exactement du socialisme, mais d'un très plausible travestissement du socialisme".

  
Les dernières pages du chapitre XII sont un appel vibrant à la lutte contre le fascisme et à la restauration de l'idéal socialiste de l'auteur - qui rappelons-le a participé à la guerre civile espagnole aux côtés des Républicains - défini par deux mots :

"Justice et Liberté !"

 
Raphaël

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