dimanche 24 janvier 2016

La vieillesse en littérature [II] - vendredi 8 janvier 2016


La vieillesse 2e partie











Telle une fusée, Stéphane H. s’est lancé vers la planète ROBERT HEINLEIN et nous a emmené avec lui.
Pour nous familiariser avec cet auteur connu de lui seul autour de la table (au-dessus de laquelle flottaient sinon nos boissons, du moins nos attentions concentrées), il nous a donné quelques éléments de biographie :
Robert Heinlein est né dans une petite ville du Missouri en 1907 ; après ses études, il devient lieutenant de la Marine américaine, puis doit quitter cette carrière pour cause de tuberculose.
Après la Grande Dépression, il s’investit dans un parti politique d’obédience socialiste : « EPIC »
A cette période, il se met à rédiger des nouvelles et à les vendre ; à cette occasion il gagne 50 dollars pour l’une  de ces nouvelles : l’équivalent de 3 pick-up de nourriture !
Son écriture l’emmène vers les premières rives de la Science-fiction, dont il est reconnu comme étant l’un des grands pionniers. Sa connaissance pointue des sciences technologiques de son temps, donne une dimension si « réaliste » et précise à ses écrits, qu’ils influencent politiquement et scientifiquement la Direction du développement de la NASA.
Certaines de ses nouvelles sont produites en séries TV pour un public adolescent.
Robert Heinlein influence donc la société dans laquelle il vit grâce à sa littérature « scientifique » et d’anticipation.  
Puis Stéphane H. nous guide vers Le Ravin des Ténèbres : Un homme , propriétaire d’un empire industriel, vit sous assistance médicale permanente. Il dirige sa recherche, grâce à l’avancement de ses connaissances sur le cerveau, vers l’obtention légale d’un corps humain, en état de mort cérébrale. Sa demande est étudiée par la Cour Suprême, qui lui accorde le droit de s’approprier un corps décédé, et de maintenir son identité sociale. Il peut donc ainsi conserver la propriété de son Empire industriel.
Lorsqu’il se réveille de son coma provoqué, son cerveau est greffé dans un corps. Quelques temps plus tard, il cherche à se regarder dans un miroir : il est incarné dans un corps de femme – celui de l’assistante qui l’accompagnait dans ses recherches, morte lors d’une agression criminelle. Il lui faudra donc trouver à apprivoiser ce corps doublement étranger…et il y sera aidé par une intuition venue des tréfonds de lui-même. Mais est-ce bien lui-même ?  



Ce récit rappelle à Efisio un ouvrage de JF Matéi et de I.Nizan, qui fait état des recherches menées sur le cerveau, et des sommes qui y sont consacrées par l’Europe sous l’impulsion de riches personnages qui souhaitent se maintenir en vie le plus longtemps possible. Cette crainte de la mort et de la non acceptation de la fin d’une existence humaine lui semble manquer de la sagesse fondamentale : un homme a à léguer son savoir à des « apprentis »  qui le dépasseront en connaissance, savoir-faire…il aura accompli sa mission sur terre. Ce qui apparaît à Efisio comme une condition du bonheur…
Stéphane H. indique un autre ouvrage de Robert Heinlein : Stranger in strange land (traduit en français : En Terre étrangère).
(fiche de lecture envoyée par Stéphane H. )

Stéphane LP s’installe à ce moment aux commandes de notre véhicule orbital pour nous emmener survoler le Japon et nous poser sur les hauteurs de Narayama


Narayama est le nom de la montagne qui surplombe un village décrit par Fukazawa dans son ouvrage éponyme, paru en 1956. Dans un contexte de famine, ce récit décrit la vie de villageois que leurs traditions, essentiellement orales, incitent à accompagner à la mort les personnes âgées en les emmenant durant l’hiver, lors de conditions favorables à certains esprits, dans un endroit secret de la Montagne. L’Ancien guide le Jeune qui le porte, qui apprend ainsi le chemin, comme lui-même l’a appris de l’Ancien qu’il a porté jusque là-bas.
Dans ce récit, une mère se sent prête à accomplir ce voyage, et demande à son fils de l’y porter. Mais ce fils, aimant, n’est pas prêt à la laisser partir. Elle le convaincra par divers moyens (certains d’une brutalité assumée) et, l’un portant l’autre – le fils physiquement, la mère psychiquement -  vers la séparation, ils vivront un chemin initiatique ensemble dans la blancheur de la Montagne enneigée – le blanc est couleur de deuil au Japon. Un pendant moins heureux de ce chemin  est aussi narré dans ce récit, où l’Ancien est emmené contre sa volonté par un fils qui trouve ainsi un moyen de se débarrasser de lui.
Nous retrouvons les pensées d’Efisio sur la sérénité de l’âge, vis-à-vis du passage qui l’attend, rendu sensé par les transmissions réalisées pour les générations suivantes – qui vont  elles-mêmes porter à travers les années,  ces savoirs, poursuivant le maillage de la chaine de l’humanité. Efisio, prenant les commandes,  nous emmène vers l’Italie, à la rencontre d’un personnage raconté par sa petite-fille : La Finisseuse (S’accabadore), de Michela Murgia. Cette petite-fille raconte les disparitions nocturnes de sa grand-mère, à l’époque de son enfance – qu’elle comprend à présent : sa grand-mère était une « finisseuse » qui accompagnait par l’euthanasie, les personnes souffrantes à la mort.
Soudain, Efisio, actionnant les manettes d’une manière imprévue, nous ramène d’une brève poussée vers l’Asie pour nous évoquer la question de l’honneur, qui serait une forme de « réserve », qui, épuisée, mènerait à l’opprobre sociale, au rejet et donc au suicide.
Delphine anime notre écran mental vers une nouvelle direction : brièvement, nous nous dirigeons vers les contrées nordiques de l’Europe, où régnaient les Vikings, attachés eux aussi à la question de l’honneur, qui, intact, permet d’aller festoyer avec les dieux. 
Efisio achève sa tâche de guide à travers l’Asie et ses philosophies qui animent la vie de tous les jours, par l’évocation des pratiquants du Taï-chi, très âgés, qui, par leur souplesse corporelle ressemblent à « des gamins de cinquante ans » (sic). Il conclut en affirmant que « la sagesse est une richesse » et compare cette  réflexion avec l’histoire développée dans le film de Joel Schumacher L’expérience interdite, dans laquelle les consciences des personnes décédées restent imprégnées de leur vécu terrestre et cherchent à assouvir leurs vengeances au-delà de la vie.
Raphaël évoque alors, en lien avec ces réflexions sur la mort, les Thanatonautes, de Bernard Werber. 
J’ose alors me placer aux commandes de notre véhicule interstellaire pour nous emmener au-delà des mondes connus, vers celui, décrit par Terry Pratchett, nommé le « Disque-monde », qui se meut, posé sur le dos de 4 éléphants géants, eux-mêmes installés sur le dos de la Grande Tortue A-Tuin. 


Je souhaitais en effet faire découvrir aux membres de notre équipage qui ne le connaîtraient pas déjà, le très ancien Cohen Le Barbare, légende vivante – quoiqu’édentée -  du Disque-monde. Dans Le Huitième Sortilège, Cohen apparaît dans une tente de barbares nomades par la réplique suivante :
« -Qu’èche vous dites ? »
Puis à la question « Quelles sont les plus grandes choses pour un homme dans la vie ? » Cohen « réfléchit dur, longtemps, et répond[it] posément : « De l’eau chaude, une bonne dentichterie et du papier hygiénique double épaicheur. » Ça laisse rêveur, néchéchairement…
Ainsi assurée d’avoir attiré l’attention de l’auditoire (de toute manière coincé dans l’habitacle avec moi) j’ai évoqué Cohen à travers les yeux ébahis de Deux-Fleurs, premier Touriste du Disque-monde, venu de lointaines contrées jusqu’à Ank-Morpork, la pestilentielle, au-dessus de laquelle émerge la Tour des Magiciens : l’Université Invisible. Rincevent, anti-héros favori de Pratchett, y joue le rôle de guide à ce précieux Touriste, qui entre autres curiosités, souhaite voir Cohen Le Barbare, fabuleuse Figure du Disque.
Par une série d’incroyables hasards, Rincevent fera les présentations entre Deux-Fleurs et Cohen, qui appréciera beaucoup les « jyeux » du Touriste.
Extrait :
« - Je n’arrive pas à le croire ! fit une voix derrière eux. Me voici en compagnie de Cohen Le Barbare ! »
C’était Deux-fleurs. Depuis le matin, il avait tout du singe qui a trouvé la clé de la bananeraie, dès l’instant précis où il avait découvert qu’il respirait le même air que le plus grand héros de tous les temps.
- Est-che qu’il che moquerait, des fois ? fit Cohen à Rincevent.
- Non. Il est tout le temps comme ça. »
Cohen se retourna sur sa selle. Deux-fleurs lui adressa un sourire radieux et agita fièrement la main. Cohen reprit sa position et grogna.
- Il a des jyeux, non ?
- Oui, mais ils ne marchent pas comme ceux de tout le monde. Sans blague…[…]
- Ch’est un fou ?
- Un genre de fou. Mais un fou qui a beaucoup d’argent.
- Ah, alors che n’est pas jun fou. J’ai pas mal roulé ma boche ; cheux qui ont beaucoup d’argent, che chont des jekchentriques. »
Le héros se retourna une fois encore sur sa selle. Deux-fleurs racontait à Bethan [vous vous souvenez ? Le jeune femme qui était très en colère d’avoir été sauvée du sacrifice qui, pour s’en rendre digne, lui avait coûté tous ses « samedis soirs »…] comment Cohen avait vaincu d’une seule main les guerriers serpents du seigneur sorcier de S’Belinde et volé le diamant sacré à la statue géante d’Offler le Dieu Crocodile.
[…]
« En tout cas, ches jyeux me plaijent bien. Ils arrivent à voir à chinquante ans de dichtanche. » 



A la croisée du chemin de Cohen et de ses acolytes, été évoqués Umpapa de René Goscinny et Kerity et la maison des contes, film d’animation franco-italien (2009) de Dominique Monféry, pour compléter un des fils conducteurs des récits de Pratchett (tels La Nuit du Porcher ) : si les croyances disparaissent, les personnages légendaires (personnifications de croyances et de valeurs) aussi…
Stéphane H. (il ne reste d’ailleurs plus que ce Stéphane, l’autre, profitant d’une escale, ayant déserté notre fusée -  souffrant peut-être du mal de l’espace, ou  d’une nostalgie trop vive du giron d’un vieux lecteur sis au fond d’une jungle bien terrestre) indique une lecture narrant les extraordinaires aventures d’un Cohen encore plus âgé, souhaitant réaliser son dernier exploit avant d’aller se reposer auprès des Dieux au Walhalla : Le Dernier Héros.
Insertion par Raphaël (comme nous sommes dans un habitacle interstellaire, vous pouvez vous le faire genre Voix Off « HAL » ou, variante ? « Dieu »):
« Je crois me souvenir que le vieux Conan y rassemble une bande de vieux briscards décrépis pour une dernière aventure (rendre le feu aux dieux) ».
J'avais prévu de mon côté de vous parler des Phalanges de l'ordre noir bande-dessinée d'Enki Bilal et Pierre Christin. Il s'agit aussi d'une bande de vieux (et vieilles), ancien-ne-s républicain-e-s ayant fait la guerre civile espagnole, qui reprennent du service pour lutter contre d'anciens franquistes qui sévissent à nouveau. Réflexion sur le vieillissement des corps, des idéaux et des engagements, des histoires d'amours plus ou moins fanées, mais aussi sur la violence et le terrorisme.
Cet album, comme d'autres de Bilal (en particulier la trilogie Nikopol) a participé à l'émergence de ma conscience politique et m'a fait basculer dans une Bd plus adulte que la Bd franco-belge traditionnelle. »
Ça rassure, que Dieu ait des références franco-belges, non ?
Stéphane H. nous apprend  que les dieux sont défavorables à la réussite du défi de Cohen et piperont les dés de la chance : le Al-zahr limité par la Toute-puissance divine…
La notion de limite est reprise par Aimé qui nous emmène à une frontière où un panneau, planté par Romain Gary, nous indique que « Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable ». 

Nous en prenons bonne note et examinons de plus près la carte grâce à la lecture éclairée d’Aimé : il s’agit en fait d’un territoire du Tendre dans un univers capitaliste. Un industriel cherche à vendre son entreprise car il a des difficultés financières qui l’y contraignent : après une apogée de réussite professionnelle, il se sent sur une pente qui ressemble bien à un déclin – déclin qu’il ressent aussi dans sa vie privée, avançant en âge et se pensant de moins en moins capable de satisfaire aux appétits sexuels qu’il présume chez sa jeune compagne. Afin de manifester son amour pour elle, qu’il relie à la sexualité, il l’oriente vers des conquêtes masculines. Son obsession de la performance sur le plan professionnel trouve ainsi son reflet sur le plan personnel – le couple répond-il à une logique de Marché ? Si l’offre ne répond pas à la demande, que se produit-il ? Quelle est l’économie du couple ? Telles sont (si j’ai bien suivi les lignes de niveaux dessinées par Aimé) les questions sous-jacentes de ce roman, écrit par Romain Gary au crépuscule de sa vie (il se suicide en effet peu de temps après l’écriture du livre, quelques semaine après que sa femme, Jean Seberg, se soit elle-même donné la mort).
Cela m’évoque un récit autobiographique de la première femme de Romain Gary, Lesley Blanch : Voyage au cœur de l’esprit – où elle dessine la figure d’un Russe des confins Mongols, apparemment diplomate, sans doute espion, et qui venait lui raconter des histoires et l’instruire sur la vie (une vie incroyablement surprenante, riche et trépidante)  dans sa chambre d’enfant londonienne. Figure si forte, si  intense, qu’elle occultera pour longtemps l’attrait des jeunes hommes pour Lesley – qui ne trouvera qu’en Romain Gary un peu de l’essence slave qui a tant marqué son enfance, son adolescence, ses fantasmes.
Nouvelle insertion de Raphaël (Voix Off) :
« Toujours très et trop gourmand, j'avais aussi amené un court roman d'Erri De Luca dont je t'avais un peu parlé au téléphone : Trois chevaux. »
L'histoire d'un homme, la cinquantaine, qui revient en Italie après avoir combattu et fuit la dictature argentine de la période 1976-82.
Italien, jardinier et lecteur autodidacte, le personnage principal a les mains dans la terre et l'esprit dans les étoiles et dans les livres. Il s'est frotté au monde et à ses horreurs (sa femme en Argentine a succombé à la dictature). 
Bref ce personnage rencontre une jeune femme - Làila - dans un bar et vit une nouvelle histoire d'amour.
Retour à la sexualité avec une belle prose poétique de l'auteur... et un stéréotype sur la vieillesse : les hommes d'âge mur rencontrent des femmes plus jeunes, rarement l'inverse.
En l’occurrence celle-ci est une prostituée...
Une phrase tout de même parmi les passages que j'avais l'intention de vous lire :
"Elle s'appelle Làila, un accent en forme de tuile résonne sur la première voyelle, deux syllabes de berceuse." Simplicité, fluidité et beauté. J'aimerais lire l'italien. »
L’Italien de notre aventure nous aurait quant à lui bien parlé encore de Montesquieu et de ses Lettres persanes et de Edouard Schuré et de ses Grands initiés (Esquisse d’une histoire secrète des religions)… qui m’évoque pour ma part les recherches de Mircéa Eliade sur le même thème.
Delphine nous ramène alors quant à elle en France, vers Edgar Morin, dont La Voix l’a marquée…Mais nous l’entendrons quant à nous une prochaine fois, car notre véhicule réclamant de substantiels carburants tels que surveillance d’enfants au bercail, sommeil ou nourriture peut-être, nous revenons dans l’espace-temps de l’Auberge du Petit Bonheur où François, une nouvelle fois un peu laissé à nos frontières hélas, nous aurait bien parlé de  la Bd Les vieux fourneaux de Lupano et Cauuet.
 

Ainsi que des Mémoires de mes putains tristes de Gabriel Garcia Marquez…
Nous en serons quittes pour nous retrouver encore, inassouvis de cet appétit littéraire qui nous anime – au sens propre : nous voici en effet déjà en mouvement vers une prochaine exploration sous le thème du vagabondage et de la liberté !
Bon atterrissage, et belle préparation de votre prochaine aventure littéraire : j’ai hâte de voir ce que vous apporterez dans vos Bagages…Ceux de l’esprit étant les moins pesants et ceux de Deux-Fleurs les plus amusants ou terrifiants…(Avec Pratchett on ne sait jamais très bien quelle émotion prédomine). 
Gaëlle.

2 commentaires:

  1. Du coup j'ai poursuivi mes recherches à travers une vie en plus la longévité pour quoi faire ? un essais à quatre mains dont vous connaissez certainement certains auteurs:
    Joël de Rosnay
    Biochimiste, écrivain scientifique et conseiller de la Cité des sciences.

    Jean-Louis Servan Schreiber
    Écrivain, entrepreneur, directeur de Psychologies Magazine.

    François de Closets
    Essayiste, journaliste, producteur de télévision.

    Dominique Simonnet
    Rédacteur en chef à L’Express, auteur de romans et d’essais.
    : http://www.seuil.com/livre-9782757802915.htm
    que je compte finir aujourd'hui ou demain et qui sera dans mes livres à prèter pour ceux qui le souhaitent.

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  2. Tout ça me donne envie de lire et de relire.

    J'évoquais Le dernier héros avec Cohen le barbare
    http://www.l-atalante.com/catalogue/la_dentelle_du_cygne/le_dernier_heros/48/164/terry_pratchett/revue.html

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