dimanche 3 juillet 2016

Ryoko Sekiguchi et la constellation de la mort

   La voix sombre

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Ryoko Sekiguchi en mars 2012

   Dimanche 3 juillet, 10h30. Gaëlle nous avait incité à participer à un petit-déjeuner littéraire dans le cadre du festival "Et Dire et Ouïssance" organisé par l'association Dixit poétic. Après avoir écouté Jean-Michel Espitallier au café-concert La Fontaine à Saint-Péran en compagnie de Delphine et Jean-Réol, c'est avec Stéphane et donc Gaëlle que nos découvertes de la poésie contemporaine se sont poursuivies.

  Au programme : café, thés et viennoiseries en écoutant la voix de Ryoko Sekiguchi. Pieds nus, confortablement installés sur des tapis et banquettes de la médiathèque de Monterfil. En dehors des quelques lignes de présentation de l'écrivaine japonaise sur le blog de l'association, c'est à la seule combinaison Japon + poésie + amitiés + viennoiseries + Femme de lettres que je confiais cette belle matinée pluvieuse sur Brocéliande. Et contrairement aux vérités mathématiques, on ne sait que rarement où vont nous conduire les labyrinthes de ces équations.

   Ce matin, jusqu'au chemin des âmes.

  Surprise : après deux poèmes attachés à la passion de l'auteure pour la gastronomie - l'un sur le sel, l'autre sur un gâteau au milieu d'un rêve, c'est sur le délicat terrain du deuil, de l'absence et de la disparition que les lectures se sont engagées. Tirés du recueil La voix sombre (éditions P.O.L.), les textes de Ryoko Sekiguchi invitent à la réflexion sur la voix des êtres que nous aimons. Que dit-elle, cette voix, de leur personnalité ? Comment l'enfouir à jamais dans nos mémoires ? Quelle distinction faisons-nous entre l'absence - d'un ami qui habite désormais loin de nous - et la disparition définitive, soit la mort des êtres chers ? L'auteure nous suggère d'ailleurs d'enregistrer les voix de nos proches, pour les retrouver intactes après leur disparition. Pourtant, un de ces textes interroge aussitôt le phénomène d'usure qui ne manque pas de se produire dès lors que nous regardons trop souvent une photo du ou de la disparu-e, que nous réécoutons en boucle sa voix sur un enregistrement ou que nous relisons de vieilles lettres prudemment embaumées et archivées.

   Finalement l'équation se résout d'elle même, et propose comme résultat le caractère infini d'une constellation. Pour moi qui fonctionne beaucoup par associations, c'est une nouvelle pièce d'un puzzle sans coins ni bords, ni centre, celui de la constellation de la mort. J'aurais pu l'appeler - j'ai hésité - la "constellation du deuil ou de la disparition" pour être moins brutal, pour ne pas risquer la morbidité du visage de la grande faucheuse. Mais notre culture occidentale a déjà trop tendance à faire de la mort un tabou pour que je n'ose la recevoir à la grande table de notre blog littéraire. Et cette invitée peut être fréquentable, si on retient d'elle le souffle de la transmission.

   Constellation de la mort donc. Ryoko Sekiguchi a tendu ce matin une main vers François Truffaut (La chambre verte, 1978), référence qui n'étonnera plus les habitué-es de ces pages. Elle a levé les yeux vers Luigi Pirandello et sa nouvelle précédemment évoquée Les Retraités de la mémoire, dans le compte rendu du 13 mai 2016 (1ère partie). Elle a rendu hommage à son compatriote Hirokasu Kore-Eda (After life, 1998) et à l'écrivain irlandais James Joyce pour sa nouvelle Gens de Dublin. Ryoko a dialogué avec Noémie Lvovsky lorsque son personnage dans Camille redouble enregistre la voix de sa mère, interprétée par Yolande Moreau, chantant la petite cantate de Barbara. Sans lâcher du regard la mélancolie de la longue dame brune, et en nous promenant dans un espace entre France et Japon, entre présent et passé, l'auteure nous a rappelé les cruels et doux fantômes de Kenji Mizoguchi à la toute fin de son film Les Contes de la lune vague après la pluie...

   Je m'arrête là. Ce petit catalogue impromptu ne vise à aucune prétention et je ne voudrais pas qu'il y ait le moindre malentendu là-dessus. La constellation de la mort n'est pas figée et ne saurait se résumer à ces quelques lignes. D'autant plus que devrait venir s'y greffer une intime connaissance de la mort, une partie d'échec perdue pour de vraie, non sur une plage suédoise, mais dans des hôpitaux bien français. Je terminerai juste avec cette phrase de Truffaut, destinée à l'amour, mais que je trouve maintenant tout aussi appropriée à l'éternelle absence : "c'est une joie et une souffrance". Ceux et celles qui ont déjà eu les yeux baignés de larmes par le retour vivace de la mémoire d'un proche, de sa voix, de son visage, surpris pendant un moment d'immense beauté, comprendront. Ils savent que l'on peut grandir d'un deuil et qu'on n'accepte pas cette idée facilement.

Merci à Ryoko et à Dixit poétic.
Certaines personnes sont des alchimistes qui transforment la pluie bretonne en doux rayons de soleil.

Raphaël

Pour aller plus loin : sur France Inter = ici

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