vendredi 30 septembre 2016

La littérature des cinq sens et les lectures d'été - vendredi 2 septembre 2016

    Ce premier café-littéraire de la rentrée nous a surtout permis d'échanger sur nos lectures d'été ; la thématique des cinq sens étant un peu passée au second plan (sans être complètement occultée comme nous le verrons). Partant de l'idée qu'un bon repas gagne à être partagé, que la musique s'épanouit dans le collectif ou encore que nous nous enrichissons de nos différences, c'est un compte-rendu à quatre mains que Gaëlle et moi proposons ici.

    Je lui laisse la plume, pendant que Keith Jarrett et Charlie Haden me bercent de leur douce mélopée jazzy. François, Delphine et tous les amoureux du jazz apprécieront sûrement à la lecture

"Geneviève est partie cet été à la rencontre d’Alexandra David-Néel, en la suivant dans ses parcours asiatiques. De cette rencontre elle a retenu l’indépendance négociée auprès d’un mari qui la soutiendra dans sa quête durant des années, leur correspondance dont il ne reste que les lettres d’Alexandra, les réponses s’étant perdues sur les routes de la Chine, du Tibet et du Japon,  les invitations reçues aussi bien des dignitaires que des membres du peuple le plus humble, le dénigrement des « orientalistes » occidentaux qui ne comprennent rien aux Orientaux, et l’œuvre ethnologique.


Stéphane L. (moins connu que Joseph K.) a trouvé Le Prophète de Khalil Gibran à Bréhat – lecture rafraîchissante dans un été torride. « Les enfants sont l’appel de la vie à elle-même ». Raphaël était lui-même allé à sa rencontre dans ses âges tendres, à 18 ans, et l’avait trouvé mièvre, ce Prophète…Certaines lectures nécessitent-elles une expérience de vie ?

                          Afficher l'image d'origineLe-Prophete-Khalil-Gibran

De mon côté, j'ai rencontré sur les Montagnes des Ozarcs aux Etats-Unis, la « Dame aux abeilles » - titre de noblesse gagné par Sue Hubbell lorsqu’elle a abandonné son poste de bibliothécaire dans une ville universitaire de l’Est des E.U pour butiner la vie dans un espace sauvage pris entre falaise et rivière. Les échanges étaient passionnants, portant sur des chenilles processionnaires aussi bien que sur des lynx femelles ou les termites qui peuvent bien grignoter les fondations de la maison, puisqu’elles ne le feront pas suffisamment vite pour que Sue soit encore là pour la voir s’effondrer.


Stéphane L. n’a pas arrêté sa pérégrination à Bréhat et s’est frotté aux côtés de Luis Sepulveda (tiens donc...) à un Tueur sentimental, ainsi qu’à un détective suisse qui vient enquêter sur la mort d’un fabriquant de maroquinerie, décédé dans des conditions étranges, alors qu’il s’est mis en tête d’utiliser la peau du Yacaré, petit alligator adulé par un peuple indigène. L’enquête du détective sera l’occasion de démêler les complexités ethnologiques de la Terre de Feu.
Raphaël quant à lui recherche des polars ethnologiques - dont Arthur Upfield, écrivain anglo-australien, semble être l'un des pionniers - et précise à tâtons pour ses auditeurs la différence entre policier (le genre « who did it ? » à l’anglaise), polar ( ??), roman noir (sur fond de critique sociale) et thriller (remuant les angoisses les plus profondes).



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Il semble que les membres du Café littéraire de Le Verger ont  passé un été dont les autres  n’étaient pas absents…"


    Je ne pouvais rêver meilleure conclusion de Gaëlle avant de reprendre la main sur le récit de notre soirée, tant le cheminement du café-littéraire depuis ses débuts de janvier 2015 est placé sous le signe de l'ouverture, du mélange, de l'altérité.

    Aimé ayant l'art de deviner mes intérêts littéraires du moment dans les entrailles de poisson et le marc de café, c'est avec un polar italien qu'il s'est glissé dans la discussion. Dans Romanzo Criminale paru en 2002 en Italie, le juge et romancier Giancarlo De Cataldo nous raconte l'histoire d'une association criminelle dans la Rome des années 70. Dans ce récit chronologique aux allures de journal, le lecteur est plongé dans le contexte des années de plomb où les attentats et assassinats étaient commis par les brigades rouges de l'extrême gauche, quand ils n'étaient pas conduits et maquillés par l'extrême droite italienne. Le célèbre assassinat du député Aldo Moro en 1978 inspire d'ailleurs ici plus ou moins directement l'enlèvement crapuleux d'un milliardaire par la bande de malfrats de bas étage du roman qui ambitionne de gravir les échelons de la hiérarchie du crime organisé.  Pour Aimé, l'intérêt du roman est donc double : celui de proposer une peinture de l'Italie de ces années troubles et celui d'enraciner la fiction dans l'analyse sociologique du phénomène de bande et du crime organisé. L'assassinat du chef de bande crée une rupture à partir de laquelle le récit s'emballe. Il n'en faut pas plus pour que nous débattions de l'existence réelle ou fantasmée d'un code d'honneur au sein de la mafia. Du Parrain de Francis Ford Coppola à Gomorra, les références ne manquent pas...

    Le Mal, Delphine s'en est allée le traquer dans sa lecture de Sa Majesté des mouches de William Golding qu'Aimé avait présenté lors d'un précédent thème sur l'enfance en littérature. Échanger nos impressions de lectures en bonne compagnie autour d'un verre c'est déjà formidable, prendre le temps l'été de piocher dans la petite bibliothèque du café-littéraire c'est encore mieux !!!! Pour Delphine ce fut une lecture ardue tant la sauvagerie et la violence du roman crée une tension dérangeante. Cependant, elle insiste sur le fait qu'il s'agit bien là d'un grand texte et qu'elle est très contente de l'avoir exploré. Puisque l'été est aussi l'occasion de voir des films en famille, Delphine s'est (re)plongée dans le Bon Gros Géant de Roald DAHL. Une lecture savoureuse à partager entre petits et grands et pourquoi pas à tenter en anglais puisque le vocabulaire de la littérature jeunesse est assez simple.

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    Ami-e-s fidèles qui fréquentaient ce blog (si, si), vous vous demandez ce que Stéphane H. (moins connu que Michael K.) nous a rapporté de son été... de la SF ! J'adore ! Encore un roman et un auteur sortis de nulle part pour le bon gros géant ignorant que je suis dans ce domaine : Scorpion de Robert McCammon. Un collègue de Stephen King semble-t-il... Décor planté tel un vieux clou rouillé : une ville qui se meurt sous les effets de la désindustrialisation. Ne restent que des chômeurs et des trafiquants de tout poils (non pas des trafiquants de poils, faudrait quand même pas déconner). L'enseignant de sciences sociales que je suis frétille déjà sur sa chaise en voyant surgir la chère ville de Flint de Michael Moore, le documentariste poil à gratter de l'Amérique. Bref, deux gangs s'affrontent à la frontière du Mexique ; tandis qu'une épave tombe du ciel avec une boule indestructible. Une mère et sa fille la ramassent et mettent à jour une créature extraterrestre qui prend possession du corps de la fillette. Cette créature est (fut ?)  assimilée à un dauphin et une pyramide géante atterrit près d'une décharge de voiture pour aussitôt envoyer à ses trousses des créatures pas très sympas. Ouah ! Des yeux d'enfant devant une glace à trois boules : Scorpion pour moi c'est donc M. Moore (Roger et moi) + E. Bilal (la pyramide de La Foire aux Immortels) + J. Cameron (les poursuites dans le temps des Terminator). Bon, si chacun fait comme il peut avec sa boîte à outils, ce qui est sûr c'est qu'un jour Stéphane H. je relirai avidement de la SF en regardant les étoiles d'un œil inquiet. Et en repensant à ta passion dévorante pour ce genre sans égal.
    Je ne balancerai pas celui ou celle qui a commencé à nous titiller avec les subtiles distinctions entre le genre "fantastique" et celui de la SF. Je ne sais même plus dans quelle foutue catégorie nous avons réussi à ranger Star Wars (western spaghetti intersidéral mâtiné de Saint Graal je crois). Vous demanderez à R2D2...

                                  Scorpion            Afficher l'image d'origine

    François nous avait rejoint depuis un moment déjà. Il nous évoque son été avec Bruce Chatwin : Anatomie de l'errance. Pour François le hasard fait souvent bien les choses (Perec aussi vous me direz) : une émission de radio sur la dialectique mobilité et liberté écoutée sur la route du Morbihan + un tiroir plein de livres endormis dans une chaumière sans nains + le souvenir vivace d'un ancien thème du café-littéraire sur l'errance = Bruce Chatwin que Gaëlle connaissait, mais moi pas du tout. Comme quoi jeu de mains, jeu de vilains mais pas que... L'errance a désormais sa définition : "l'horreur du domicile". Bruce Chatwin s'en fait l'ardent défenseur dans la première partie de son livre. Il poursuit avec quelques nouvelles romancées dans la partie "Histoires" ; puis nous invite à une "Alternative nomade". Pour lui les problèmes de violence sont liés à la sédentarisation. Dans la quatrième partie il offre de savoureuses critiques sur les écrivains de sa génération (il a par exemple Stevenson en horreur) et termine par une réflexion sur l'art.

    Encore une soirée avec un joli tour d'horizon littéraire. Les cinq sens y ont été évoqués de biais, notamment dans les sensations d'Une année à la campagne de Sue Hubbell présentée par Gaëlle ou par l'invitation au voyage de Bruce Chatwin. Je décidais d'y associer plus directement la prose poétique de Ryoko Sekiguchi dans sa série Grenade :
  
"Parfois, tout en ayant les yeux fermés, je peux traverser une rue ou une place comme si j’avais les yeux ouverts, et c’est en général l’odeur qui dirige la marche. L’origine de l’odeur étant invisible, sauf pour ce dont les pétales dépassent les clôtures, si on prend comme repère les choses qu’on ne peut pas toucher, tirée par quelques fils peu fiables je traverse deux places, je longe le couvent dans l’odeur brûlante de la grille de métal, je parviens à l’odeur de la fontaine quand soudain éclatent les cris des enfants y jetant des pierres, je reçois tout d’un coup la fraîcheur de l’air, l’humidité étouffante, mes joues éclaboussées par l’eau, son reflet explosant dans l’air – et ma voix surgit."

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Il était bien tard pour évoquer André Brink qui a embrasé mon été avec Un turbulent silence. Je rendrai donc hommage au grand romancier sud-africain dans un article ultérieur.


Gaëlle et Raphaël

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