lundi 14 décembre 2015

L'enfance dans la littérature - 6 novembre 2015

    La réunion mensuelle du vendredi 6 novembre portait sur "L'enfance dans la littérature". Cette thématique, suggérée par François, nous a permis de réunir une dizaine de participants et d'accueillir Léa qui avait eu l'occasion de prendre contact avec nous lors de la soirée de jeux de société.

    C'est donc autour d'une grande table animée que nos discussions se sont engagées sur un thème tellement riche qu'il était évident que nous n'en ferions pas le tour. J'ose à peine lister quelques grands absents de cette soirée (Peter Pan était retenu par le Capitaine Crochet et a envoyé un mot d'excuse par l'intermédiaire de la fée Clochette, Momo devait aider Mme Rosa à faire ses courses et à repriser ses bas, Jim Hawkins était en cuisine avec Long John Silver...) qui nous retrouveront peut-être par le biais d'autres thèmes.

    Aymé nous a présenté le roman de William Golding, Sa Majesté des mouches, dans lequel une bande de garçons découvre la vie sauvage sur une île à la suite d'un naufrage. Deux tempéraments, deux personnalités, vont très vite s'opposer et permettre à l'auteur de confronter le civilisé au primitif, l'organisation et le compromis à la violence. Avec Stéphane et Delphine notamment, nous nous sommes interrogés sur les liens à tisser entre ce roman et la vision de l'homme naturellement bon portée par Jean-Jacques Rousseau. D'où vient la violence d'une partie de ces préadolescents ? Le désir mimétique (l'envie universelle chez l'homme de posséder ce que l'autre a déjà), la soif de pouvoir peuvent-ils en être les explications ? Delphine nous met sur cette piste en évoquant la mort du philosophe et anthropologue René Girard deux jours plus tôt, le 4 novembre.

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                                                                                        Découvrir René Girard (1923-2015)

    Pas de doute, ce roman allégorique sonde la nature humaine et l'histoire des sociétés. Aymé a su nous donner l'envie de le lire et, pour faire écho à l'un de nos thèmes précédents, de (re)voir l'adaptation cinématographique de Peter Brook (1963).

  Sur d'autres terrains littéraires, celui de la bande-dessinée d'abord, celui de la poésie ensuite, Stéphane  (celui du "Vieux qui lisait les romans d'amours", vous suivez ?) nous a emmené vers le Quartier lointain de Jirô Taniguchi et les textes de Jacques Prévert. Dans ce magnifique manga japonais (ne dites plus que vous détestez les mangas, ça ne veut rien dire au regard de la richesse et de la diversité de ce mode d'expression artistique), un homme d'âge mûr se trompe de train et se retrouve dans le village de son enfance. Parti se recueillir sur la tombe de sa mère, il se réveillera à la suite d'un évanouissement... dans la peau de l'adolescent de 14 ans qu'il était quelques décennies plus tôt. En revivant un été charnière de sa vie familiale, il tentera de changer le cours des choses et de mieux comprendre son père. Là aussi une adaptation cinématographique a été réalisée (par le cinéma français !) et ce manga a peut-être inspiré Noémie Lovovsky pour son très beau film Camille redouble (2012). Ce manga japonais présente un style très réaliste et très européen - son auteur est un adepte de la ligne claire - et il procure une émotion inoubliable. 

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Quartier lointain - édition intégrale chez Casterman

    Dans un ordre pas toujours facile à retrouver, tant nos digressions habituelles nous ont emmené de sauts en gambades à refaire une fois de plus ce monde qui nous satisfait peu (il a beaucoup été question d'éducation, et de la place - introuvable ? - des intellectuels de gauche aujourd'hui), Léa nous a parlé d'un beau roman de François Garde : Ce qu'il advint du sauvage blanc (Goncourt du premier roman en 2012). Nos échanges sur l'anthropologie et la nature humaine ont amené Léa à nous parler de ce récit d'aventures et d'acculturation dans lequel un jeune matelot, Narcisse Pelletier, abandonné sur une plage d'Australie par son équipage, devra se frotter à la culture aborigène et découvrir d'autres modes de vie, d'autres perceptions du monde après avoir été relégué au rang des enfants. Lorsque 17 ans après son naufrage il sera de nouveau en contact avec la civilisation occidentale, il fera l'objet de recherches scientifiques l'arrachant à sa nouvelle communauté d'adoption. On peut lire sur le site Persée un article de 1880 sur la véritable vie de Narcisse Pelletier.

    Gaëlle avait une telle soif de littérature et de verres - pardon de vers - ce soir là, qu'elle a contenu le pouvoir digressionnaire de la bande par une bien belle Bd assurant le meilleur retour en enfance : De cape et de crocs de Alain Ayroles (scénario) et Jean-Luc Masbou (dessin). Avec un habile rebond sur le thème précédent dédié au théâtre et à Cyrano de Bergerac, Gaëlle nous emmène dans les aventures de cape et d'épée d'un renard gascon et d'un loup espagnol qui déclament des vers entre deux histoires d'amours et deux duels, Les albums ramenés par Gaëlle nous ont permis d'admirer les dessins somptueux, et de vite comprendre que la trame basique d'une chasse au trésor allait permettre aux auteurs de nous régaler de références classiques (La Commedia Dell'arte, La Fontaine, Molière, Cyrano) et de clins d’œil à la littérature d'aventures ou fantastique (L'île au Trésor - ah quand même !  Les trois mousquetaires, Les voyages de Gulliver). Bref, cela sent bon comme un civet de lapin et il faudrait être incapable de s'émouvoir de la beauté de la lune pour passer à côté d'un tel chef d'oeuvre du 9e art. Tristan et Delphine n'étaient d'ailleurs pas loin de s'installer confortablement pour mieux en savourer les pages.

         De cape et de crocs tome 8     De cape et de crocs tome 6     De cape et de crocs tome 9

    Geneviève a pris le relais pour nous emmener du côté de la littérature jeunesse. Très bonne idée quand on connaît mal comme moi la richesse des romans jeunesse. L'Oasis de Xavier-Laurent Petit a paru à l'Ecole des loisirs dans la collection medium destinée aux adolescents. Cette fiction  au cœur de l'Algérie du début des années 90 met un jeune collégien, Elmir, aux prises avec un pays en guerre, entre attentats et menaces à l'égard de la liberté de la presse - son père est journaliste - ou de la culture - sa mère étant bibliothécaire. On suit donc les inquiétudes quotidiennes d'Elmir, qui soupçonne aussi son meilleur ami d'être passé du côté des "Combattants de l'ombre" et donc du terrorisme. Nul doute que ce roman, qui a reçu en 1998 le prix du roman historique pour la jeunesse, est une habile manière d'entrer en empathie avec tous les adolescents du monde confrontés à la guerre et à l'instabilité politique de leur pays. Geneviève nous a également conseillé Be safe du même auteur, livre qui décrit comment l'armée américaine va recruter un adolescent de 18 ans d'une famille modeste pour en faire un soldat et l'envoyer en Irak. Jérémy gardera contact par mail avec ses amis restés aux pays profiter de leur jeunesse en terminant chaque message par la même formule : be safe. Je vous propose une courte vidéo pour découvrir Xavier-Laurent Petit qui parle de son travail d'écrivain à des élèves d'une classe de primaire.

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   Que les gourmands se rassurent, notre tour d'horizon n'est pas tout à fait fini. Pour ma part j'avais saisi l'occasion de ce thème pour enfin découvrir Italo Calvino, écrivain et philosophe italien du XXe siècle. C'est donc avec Le baron perché que nous avons terminé cette soirée dédiée à l'enfance dans la littérature. Ce livre se situe au milieu d'une trilogie qui débute avec Le Vicomte pourfendu (1952) et s'achève avec Le chevalier inexistant (1959). Il s'agit du récit de la vie de Côme qui de ses 12 ans à sa mort décida de vivre dans les arbres pour vivre à côté des hommes tout en se réservant la possibilité d'affirmer sa liberté. Ce beau texte classique débute quelques années avant la Révolution française de 1789 et s'achève un peu après. Côme aura eu le temps de défier les conformismes de la noblesse, de lire des philosophes de son temps, de vivre sa passion amoureuse au creux des branches (pages d'un subtil érotisme) et de proposer à ses contemporains un projet de Constitution dont je vous laisse lire quelques lignes :

Dire qu'en ce temps là Côme avait rédigé et répandu un "Projet de Constitution d'une Cité Républicaine, avec Déclaration des Droites des Hommes, des Femmes, des Enfants, des Animaux domestiques et sauvages, y compris les Oiseaux, les Poissons, les Insectes et les Plantes, tant Arbres de Haute Futaie que Légumes et que Près"! C'était un fort bel ouvrage, qui pouvait servir de guide à toute espèce de gouvernants ; mais nul ne le prit au sérieux et il resta lettre morte.

    Nul doute que ce texte aurait pu inspirer les signataires de l'accord de la COP21 qui, tout en étant loin du compte, semblent avoir arraché un compromis politique historique pour préserver le climat et la planète. Côme, l'alter ego d'Italo Calvino, doit contempler cette Terre avec un mélange d'espoir et d'amertume. 

    La soirée a donc une nouvelle fois été bien remplie et tout le monde n'a pas eu le temps de présenter son livre. Delphine reprendra donc le flambeau écologique dès la prochaine séance avec un livre de Pierre Rabhi faisant la jonction entre le thème de l'enfance et celui de la vieillesse : Le gardien du feu. Ce pionnier de la décroissance et de l'agroécologie peut être écouté sur le site de France Culture.


Bonnes lectures à toutes et à tous
Raphaël


Pour aller + loin :

Dans son émission "ça peut pas faire de mal" sur France Inter, Guillaume Gallienne a consacré une lecture au roman d'Italo Calvino, Le Baron perché (ici).


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