samedi 9 juillet 2016

La disparition de William Shakespeare - vendredi 8 juillet 2016


   J'étais convoqué ce vendredi 8 juillet 2016, à 20h30, dans un commissariat de la paisible commune de Le Verger avec d'autres témoins. On nous attendait pour recueillir des éléments sur un obscur écrivain dont les pièces sont aujourd'hui adaptées, paraît-il, en comédies musicales. Un certain William Shakespeare, qui aurait fréquenté le même lycée que nous il y a quelques années. Pièce à conviction : un tableau oublié sur une table porte sobrement ses initiales en-dessous de quelques vers énigmatiques. Comme d'habitude, malgré d'infimes précautions, j'arrivais sur les lieux avec une dizaine de minutes de retard. J'étais pourtant le premier. Quelques mots échangés avec une enquêtrice au discret accent russe m'apprennent que certains témoins cruciaux de cette affaire ne participeront pas à la réunion. Tristan D. et Efisio L. considèrent que le monde n'est pas un théâtre et que le minimum serait de les convoquer une autre fois dans un respect scrupuleux des conventions. Pardi on a bien droit à un peu de repos, et on ne revient pas de Sardaigne en risquant un naufrage pour une enquête des plus farfelues !

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Lost

   Je m'assois, intrigué par la tournure que prend cette surprenante convocation. Heureusement que le commissaire, sorti de travers d'un roman d'Agatha Christie, est un amateur de jazz éclairé qui a décidé de faire l'éducation musicale de ses "clients". Alors qu'un air de saxophone m'enveloppe, me rejoignent Stéphane H. et Gaëlle R. Tenues décontractées, poignées de main courtoises, visages vaguement et étonnamment familiers. Rapide discussion sur les twitts annonçant la mystérieuse disparition de l'écrivain. Le ministre de la culture crée une tempête dans un verre d'eau en 138 caractères. Un écrivain plus célèbre en aurait recueilli deux de plus il me semble. Geneviève L-N. nous rejoint à peine cinq minutes plus tard. Le commissaire lui sert un verre de Cheverny rouge pour la faire patienter. Je dissimule ma surprise et évite de faire beaucoup de bruit pour rien. J'attrape un journal brossant le portrait d'un romancier irlandais. Colum McCann : avec un nom pareil il ne pouvait pas en être autrement. Gaëlle R. nous en propose une lecture commune. Jolie voix, vite interrompue par l'arrivée animée des derniers protagonistes : Delphine D. , Aymé R. et Stéphane L. dans un ordre dont je ne suis plus très sûr. Qu'importe, le petit jeu du chat et de la souris du commissaire peut commencer. Il y a même des choux à la crème plutôt réussis. Alors que je me demande si cet Hercule Poirot du Verger les prépare lui-même, Gaëlle R. me souffle que je suis en danger dès ma première bouchée...

   Sept témoins. L'interrogatoire peut commencer. En musique s'il vous plaît et la tension monte d'un cran d'un seul coup. Nous écoutons une bande enregistrée d'un chanteur dont le père fréquentait les mêmes bars rive gauche que ce William Shakespeare. Le dénommé Vincent Delerm y fait tout un monologue sur une histoire de lapin que l'on aurait posé à l'auteur avant qu'il ne disparaisse. Pas clair, d'autant que des murmures s'échangent autour de moi.
   Stéphane L. passe à la casserole et file un mauvais quart d'heure. Ses souvenirs du Songe d'une nuit d'été, bar interlope au fond d'un bois de province, tenu par un certain Puck, sont bien embrouillés. Son témoignage n'est-il pas inventé ? L'auteur recherché aurait fréquenté cette faune... Je vois derrière le sourire de Gaëlle que ce récit est un vrai conte pour enfants. Est-ce une coïncidence si des pièces de l'auteur ont été transcrites en contes par un couple aux intentions brumeuses, Charles et Mary Lamb ? Avec parfois des illustrations pour enfants ? Est-ce bien raisonnable de les convier au grand banquet du pouvoir, des trahisons, de la violence de l'histoire et du sexe ? A moins d'édulcorer comme toujours. Le puzzle se complique. Heureusement, Stéphane L. finit par se montrer plus convaincant en évoquant une histoire de plagiat dans laquelle aurait pu tremper l'écrivain recherché. Aymé R. se demandera plus tard s'il ne s'agit d'ailleurs pas d'un pseudonyme cachant la véritable identité de l'individu.

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Puck - Le Cercle des poètes disparus (1989)

   Je sens vite que ça va être mon tour. Le commissaire me présente des photos d'individus ayant fréquenté le jeune Shakespeare dans la forêt d'Ardenne : un certain Orlando amoureux d'un transexuel connu sous le nom de Rosalinde. Comme il vous plaira, M. le commissaire, mais je n'ai pas souvenir d'avoir croisé ces trognes peu enviables. La comédie pastorale est plaisante mais il ne faudrait pas abuser. Une véritable partie de cartes s'installe avec le commissaire, et bien malin celui qui sortira un as de sa manche. Les témoignages de Delphine D. et Aymé R. se rejoignent ensuite étrangement. Ils évoquent La Tempête médiatique dans laquelle aurait été pris l'auteur quelques mois plus tôt. En vacances sur une île déserte avec sa fille Miranda, il aurait contraint un dénommé Ariel à provoquer le naufrage d'un  potentiel rival pour un prix littéraire... Je crois avoir entendu le nom d'Antonio, mais j'avais déjà trop bu pour accorder pleine confiance à ma mémoire. Le conditionnel est donc plus certain.

   Il est déjà 23h quand Geneviève N-L. est relâchée faute d'éléments suffisants. Son écoute attentive des différents épisodes de cette affaire m'indique pourtant qu'elle en sait sûrement plus long qu'elle n'a bien voulu le dire. Gaëlle R. la suivra peu après, non sans avoir pris le temps d'échanger quelques mots en aparté avec Stéphane L. et notre hôte bienveillant. Elle repart les bras chargés de volumineux dossiers de l'enquête alors que d'autres témoins évoquent des cahiers d'été à rédiger. Je n'ai pas le temps de démêler cet imbroglio car Aymé R. se met à table pour évoquer un séjour au Japon en compagnie de (feu ?) W. Shakespeare. Au pays du manga, le journaliste Aya Kanno lui évoque un scandale : Le Requiem du roi des roses nous plonge dans un sanguinaire conflit opposant deux  vieilles familles de l'aristocratie anglaise, les York et les Lancaster. Récit à clefs dont celle-ci éveille la curiosité de notre assemblée nocturne : "celui qui n'est pas couronné n'aura pas de numéro". Hmm. Radio Londres a du souci à se faire. Richard III, Edouard IV, Henri VI et Georges se seraient déchirés pour  obtenir les droits d'adaptation d'une pièce de William : La Nuit des rois. Tous les coups semblent permis dans cette extraordinaire bataille de droits de succession.

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Richard III de Thomas Ostermeir (interview et pièce)

   A ce stade, tous les témoins ont été entendus. Tous ? Non. Un seul résiste encore à se déballage trop théâtralisé pour être vraiment honnête. Comme s'il s'était réfugié dans une quatrième dimension, Stéphane H. est resté très discret, apportant malgré tout une ou deux remarques pour préciser la teneur de certains faits marquants. En particulier sur la présence de sorcières gravitant autour de W.S. Quand le commissaire s'assoit à notre table, c'est un peu un récit de science-fiction que lui sert ce témoin qui a eu de surcroît l'audace de reprendre des choux à la crème. Il nous apprend que dans une lettre au titre provocateur, Septembre  avait trente jours, un auteur américain Robert F. Young, aurait glissé des allusions sexuelles  au sujet de rendez-vous galants sous le balcon de la résidence italienne de W.S. Une jeune femme du nom de Julia, vingt ans à peine, éprise d'un garçon au caractère fougueux, Roem, et muse d'un dessinateur d'âge mûr d'origine serbe - Bilal ? - aurait rendu fou de jalousie l'auteur qui est au centre de cet interrogatoire depuis maintenant quatre heures. C'est trop pour Delphine qui demande au commissaire de reprendre ces discussions en septembre quand nos cinq sens seront plus alertes.

   Nous sommes sortis un à un de ce commissariat fort étrange après avoir perdu toute notion du temps. Le plafond d'étoiles décrit par Stéphane L. a définitivement fini de nous perdre dans le méandre infini de cette curieuse affaire. Paradoxe : nous avions le sentiment d'avoir approché de près le mystère de la disparition de William Shakespeare sans être totalement convaincu de sa véritable identité. Combien de vérités se cachaient derrière ces multiples témoignages et surtout derrière ces innombrables personnages ? Nous ne le saurons sans doute pas. Seuls les spectres détiennent peut-être les clefs de cette histoire et c'est en espérant secrètement les croiser que chacun est reparti de son côté.


Raphaël


Mon premier est un livre... (sélection)

- Le songe d'une nuit d'été de W. Shakespeare
- Comme il vous plaira de W. Shakespeare [cf article de réflexion sur la pièce autour de la thématique du genre]
- La Tempête de W. Shakespeare
- Richard III de W. Shakespeare
- Roméo et Juliette de W. Shakespeare
- Les contes de Shakespeare de Charles et Mary Lamb
- Le Requiem du roi des roses d'Aya Kanno
- Septembre avait trente jours de Robert F. Young
- Julia et Roem d'Enki Bilal
- Shakespeare, Antibiographie de Bill Bryson
- Sors de ce corps William ! de David Safier

Mon second est un film... (sélection)
[S'adresser à Aymé pour les questions sur Kurosawa]

- Le songe d'une nuit d'été (1999) de Michael Hoffman
- Roméo et Juliette (1968) de Franco Zeffirelli
- Roméo + Juliette (1996) de Baz Luhrmann
- Just a kiss (2003) de Ken Loach
- West side story (1960) de Robert Wise
- Beaucoup de bruit pour rien (1993) de Kenneth Branagh
- Hamlet (1948) de Laurence Oliver et (1996) de Kenneth Branagh
- Othello (1952) d'Orson Welles
- Macbeth (1948) d'Orson Welles et (1971) de Roman Polanski
- Le château de l'araignée [adaptation de Macbeth] (1957) d'Akira Kurosawa
- Ran [adaptation du Roi Lear] (1985) d'Akira Kurosawa
- Looking for Richard (1996) d'Al Pacino

Mon troisième se joue en musique... (sélection)
[Grand merci aux apports pointus de Delphine sur la musique classique]

- Le monologue shakespearien de Vincent Delerm (ici)
- Roméo et Juliette d'Abd Al Malick et Juliette Gréco (ici)
- Roméo kiffe Juliette de Grand Corps malade (ici)
- La Tempête, sonate n°17 de Beethoven, interprétation de Daniel Barenboim (ici)
- La Tempête, de Tchaïkovsky - 1873 (ici)
- Shakespeare Songs de Guillaume de Chassy, Christophe Marguet et Andy Sheppard avec la voix de Kristin Scott Thomas (ici)
- Such sweet thunder de Duke Ellington (album hommage à l'univers de Shakespeare)

Mon dernier est une lecture internet proposée par Stéphane H... (sélection)

 http://www.alalettre.com/shakespeare-oeuvres-romeo.php


Les ajouts dans les commentaires sont évidemment les bienvenus !

5 commentaires:

  1. Pour le poème je recherche

    dans un premier temps ceci : https://en.wikipedia.org/wiki/Roses_Are_Red

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    1. c'est bien dans Macbeth qu'il y a les sorcières, ma tromperie venait du fait que le livre contenait Othello et Macbeth. Pas trouvé le lien entre William et la chanson.

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  2. J'avais envie de rajouterla suite du fameux "Etre, ou ne pas être : telle est la question" de HAMLET.

    Etre, ou ne pas être : telle est la question. Y a-t-il pour l’âme plus de noblesse à endurer les coups et les revers d’une injurieuse fortune, ou à s'armer contre elle pour mettre frein à une marée de douleurs ? Mourir... dormir, c’est tout ;... Calmer enfin, dit-on, dans le sommeil les affreux battements du cœur ; quelle conclusion des maux héréditaires serait plus
    dévotement souhaitée ? Mourir... dormir, dormir ! Rêver peut-être! C’est là le hic. Car, échappés des liens charnels, si, dans ce sommeil du trépas, il nous vient des songes... halte- là ! Cette considération prolonge la calamité de la vie. Car, sinon, qui supporterait du sort les soufflets et les avanies, les torts de l'oppresseur, les outrages de l’orgueilleux, les affres de l'amour dédaigné, les remises de la justice, l'insolence des gens officiels, et les rebuffades que les méritants rencontrent auprès des indignes, alors qu’un simple petit coup de pointe viendrait à bout de tout cela ?

    William Shakespeare,
    Hamlet, Acte III, scène 1, extrait (1601), traduction d’André Gide, dans Oeuvres complètes, tome 2, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1959

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    1. Tirade d'Hamlet indispensable en effet à l'héritage de William Shakespeare. Merci pour cet ajout bienvenu ! Depuis plus aucun lecteur ne plonge son regard dans les orbites d'un crâne décharné sans un frisson pour le jeune prince danois.

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    2. Je suis d'accord même si j'ai plus de mal aujourd'hui à me fournir en crâne décharné qu'à l'automne 2000. Toujours le même frisson néanmoins.

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