jeudi 19 mai 2016

Nouvelles et Progrès (3ème partie) - vendredi 13 mai 2016

Café littéraire du 13 mai 2016

Nouvelles et Progrès (Episode 3)


   Il faut savoir s'adapter (se plier) au progrès et à la modernité de son époque. Quand certaines majors du cinéma entretiennent des franchises de films pour gonfler les recettes et faire vivre l'industrie culturelle, tout le monde applaudit. Et la seule question qui vaille demeure : faut-il que le film suivant propose la suite des aventures du héros ou soit un préquel sur son enfance, ses origines, etc ? Je vous propose donc le compte rendu d'une même soirée en trois épisodes, sans dévoiler les liens de parenté entre les membres de cette digne assemblée. A la fin il y aura bien quelqu'un pour être le père de quelqu'un d'autre de toute façon.

   Cette modernité, Tristan l'a saisie à bras le corps en choisissant de nous présenter une comédie 2.0 : La théorie de la tartine de Titiou Lecoq. L'héroïne du roman découvre sur le net une sextape postée par son ex. Elle cherche évidemment à la faire disparaître, et pour cela s'appuie sur l'aide d'un jeune hacker et d'un journaliste pensant qu'internet changera le monde. Nous sommes au début des années 2000 et les réseaux sociaux n'ont pas encore pris la mesure de toutes les dérives possibles de ce nouveau média. Chacun sait que désormais tout est parfaitement régulé. Et lorsque nos responsables politiques commentent d'un tweet des attentats ou actes antisémites on prend conscience des progrès accomplis depuis cette presse papier ringarde qui publiait J'accuse d'Emile Zola. Mais je m'égare. L'histoire s'épaissit lorsque après un bon dans le temps d'une dizaine d'années, les protagonistes se retrouvent alors qu'internet a profondément modifié nos modes de vie. Tristan a eu un vrai plaisir de lecture avec ce roman et la toile (site de Babelio par exemple) s'en fait l'écho. On notera que l'auteure est aussi la blogeuse d'un site de chroniques engagées et féministes (ici). Je l'ai rapidement parcouru et les billets post-attentats de novembre 2015 méritent qu'on s'y attarde. Cela prouve que les modalités d'expression sur internet sont variées, alternant le pire et le meilleur (vous avez-dit médiapart ?), tandis que la presse papier fait de même si j'accepte d'y réfléchir honnêtement (vive les tabloïds et la presse people). Un constat important s'impose : tout média est capable de produire de la qualité et de la profondeur à condition de lui en donner les moyens (logistiques, financiers, humains).  A nous lecteurs, auditeurs, spectateurs de faire les bons choix. Je pense à Stéphane L. qui nous affirmait que ce n'est jamais l'outil qui pose problème mais l'usage qui en est fait. Même si avec Jean-Réol nous avions de quoi nuancer cette assertion, elle est loin de pouvoir être ignorée.

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   A défaut de refaire efficacement le monde à notre image, et pourtant nous nous y employons, Geneviève est parvenu à nous emmener très loin avec un livre de Jenny Colgan : La petite boulangerie du bout du monde. Alors que tout semble sourire à un couple de publicitaires centrés sur la photo, leur petite entreprise fait faillite parce qu'ils n'ont pas su s'adapter aux défis de l'internet et du numérique. Le lien conjugal n'y survira pas et voici notre héroïne ballottée par vents et marées. Elle finit par échouer sur une petite île des Cornouailles et emménage dans un appartement situé au-dessus d'une boutique abandonnée. En s'adonnant au plaisir de faire du pain elle s'attire les foudres de la seule boulangerie de l'île et surtout recrée du lien social et de l'entraide au sein de cette microcommunauté. Pour Geneviève le progrès est là : faire revivre des liens disparus, des relations sociales à partir d'initiatives toutes simples et d'un peu d'authenticité. Il n'en faut pas plus pour que Gaëlle, Stéphane H., Efisio et Tristan se mettent à m'apprendre à faire du pain. Gaëlle entonne une chanson tirée de la pédagogie Steiner-Waldorf permettant à un enfant de se souvenir des étapes de fabrication du pain. J'avoue mon ignorance et promet d'étudier le sujet. Du levain m'attend désormais au réfrigérateur.

                                              Afficher l'image d'origine         Les Bébés de la consigne automatique par Murakami       

   S'il y a bien un amoureux de la littérature des cinq continents parmi nous c'est François. Après une escapade russe avec Andrei Kourkov, un roman finlandais d'Arto Paasilinna lors de récents cafés littéraires et des discussions au bar sur le colombien Gabriel Garcia Marquez, c'est au Japon qu'il nous emmène avec Les bébés de la consigne automatique de Ryû Murakami. Deux enfants, Hashi et Kiku, vont survivre à leur abandon dans une consigne de gare, ce qui explique le titre du roman. Pure science-fiction pourrait-on croire... Mais non, ce dispositif existe bel et bien au Japon,en Corée du Sud et dans plusieurs pays européens (Allemagne, Japon, République Tchèque). Un article de 2012 du journal Le Parisien relate un cas d'abandon en Belgique et les polémiques liées à cette pratique (ici). En France, ce dispositif n'existe pas puisque les mères qui souhaitent ne pas reconnaître leur enfant à la naissance peuvent accoucher sous X. Revenons au roman de François. Les deux enfants vont garder au fond d'eux l'immense douleur psychologique de l'abandon et trouveront une forme de palliatif dans la souffrance qu'ils imposeront aux autres. Hashi parti à la recherche de sa mère deviendra une star du rock et se prostituera tandis que Kiku d'abord apaisé par sa passion du saut à la perche, adoptera le projet de répandre dans Tokyo une puissante drogue aux effets dévastateurs. Ryû Murakami - référence de la littérature japonaise contemporaine à ne pas confondre avec Haruki Murakami dont Stéphane L. nous avait parlé - dépeint un monde de désolation et de destruction avec violence et poésie. Livre sombre, dépeignant l'envers du miracle économique japonais, qui ne peut laisser indifférent.

   J'ajoutais à ce tour d'horizon littéraire déjà très riche et varié un coup de cœur cinématographique qui m'était revenu à l'esprit en choisissant de (re)lire certaines nouvelles. Dans Vivre sa vie (1962) de Jean-Luc Godard, un homme lit à Anna Karina (forcément sublime) un long passage du Portrait ovale d'Edgar Allan Poe. Mise en abyme génial de l'un des chefs de file de la nouvelle vague. Dans la nouvelle un peintre délaisse sa muse et modèle pour tomber sous l'emprise du portait de son tableau, et dans le film, la caméra de Godard transforme la femme-compagne Anna Karina en déesse éternelle du 9e art. Godard prête sa voix à l'acteur lisant l'extrait pour que l'on n'ignore rien de la relation amoureuse qui se joue sous nos yeux. Chez les deux artistes, Poe et Godard, la réussite est totale.


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                                                                             Extrait de Vivre sa vie (J-L Godard)
 

Fin de la trilogie Nouvelles et Progrès

Raphael

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