lundi 20 février 2017

Cent poèmes de la Résistance - La rose et le réséda (1943) de Louis Aragon

   EXTRAITS DE TEXTES

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   Déniché à l'occasion d'une flânerie à la bibliothèque des Champs libres de Rennes : Cent poèmes de la Résistance d'Alain Guérin (éditions Omnibus, 2008). Un cadeau du hasard en écho au thème du dernier brunch littéraire (05/02).
   Dans la préface, l'auteur de cette anthologie évoque la vieille querelle "le stylo ou la mitraillette" qui culmina dans les attaques contre Aragon, parce que contrairement à René Char, il ne prit jamais d'autres armes que celles de l'encre, de la plume et du papier. Pourtant, Jean Dutour rappelle dans Les Voyageurs du Tupolev (2003) :

"On n'imagine plus aujourd'hui ce qu'avait représenté Aragon en 1943 pour les jeunes résistants dans mon genre. Par la seule vertu de ses poèmes, la France était soudain débarrassée de sa honte. Je suppose que les vaincus de 1870 ressentirent quelque chose de semblable en lisant L'Année terrible. La métamorphose d'Aragon, véhément surréaliste, puis communiste zélé, devenant mystérieusement Victor Hugo, c'est-à-dire modulant sur sa lyre la musique ancestrale de la France, n'était pas la moindre des merveilles. C'est quand il est vaincu et ligoté par le vainqueur qu'un peuple a besoin d'un aède (*)..."
   Un aède désigne un poète grec de l'Antiquité (je découvre le mot), s'accompagnant des mélodies d'une lyre pour chanter ou réciter ses poèmes. Homère en est le plus illustre représentant.

   Ce recueil de poèmes de la Résistance, découpé en cinq parties (poèmes de la Défaite / du Malheur / du Combat / de la Victoire / du Souvenir) offre une large place aux écrits de Louis Aragon, puisque douze de ses poèmes y sont répertoriés (sept pour Paul Eluard, cinq pour Robert Desnos).

   En feuilletant cette anthologie, on mesure quelle fût la place de la poésie dans la longue lutte contre le nazisme. Parmi les 33 textes consacrés aux poèmes du Combat, on trouve La rose et le réséda (p.126) que Louis Aragon dédia à quatre résistants fusillés par l'occupant: Gabriel Péri, député communiste, Honoré D'Estiennes d'Orves, lieutenant de vaisseau parachuté en France, Guy Môquet, jeune militant communiste et Gilbert Dru, militant catholique.


La rose et le réséda

Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas 
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fût de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe Qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule et se mêle
A la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dîtes flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

   Il y a bien sûr d'autres indispensables et beaux poèmes dans cette anthologie. Mais à l'heure des sanguinaires embrasements des fanatismes religieux, des replis identitaires sur fond de guerre des civilisations, ce texte de Louis Aragon me semble une clef de résistance actuelle et nécessaire.


Raphaël


NB
Un court métrage réalisé par André Michel en 1947 est disponible sur le site de l'Ina (ici). L'ensemble a assez mal vieilli et la musique souligne maladroitement le propos, mais le poème d'Aragon est lu par Jean-Louis Barrault, l'inoubliable mime Baptiste des Enfants du Paradis de Marcel Carné. Sur le boulevard du Crime, c'est toujours l'amour, la beauté et la poésie qui sauvent le monde... ou ce qui peut l'être.

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