lundi 13 février 2017

Mort du mangaka Jiro Taniguchi (1947-2017)

 


   Faire ses courses dans un supermarché, regarder distraitement les titres de la presse du jour, une salade et un jus d'orange sous le bras. Et s'arrêter, incrédule, devant une manchette de Libération, ce lundi 13 février 2017 :


Jiro Taniguchi
tourne la page

Le dessinateur japonais est mort
Samedi à Tokyo, pages 24-26



   Défilent alors les images d'une première rencontre décisive avec ce mangaka, maître de l'intime et du passage du temps, à travers son manga Quartier lointain (paru en 2006 chez Casterman). L'histoire d'un homme approchant la quarantaine qui se trompe de train et se retrouve par inadvertance dans le village de son enfance. En se rendant dans le cimetière où est enterrée sa mère, il s'évanouit... pour se réveiller étourdi dans la peau de l'adolescent qu'il était à quatorze ans. Tout en ayant conservé son esprit d'adulte, il va revivre l'été décisif pendant lequel son père quittera sa famille. Superbe récit qui sera adapté au cinéma par un réalisateur français, Sam Gabarski, en 2010. Histoire qui a aussi probablement inspiré Noémie Lvovsky pour Camille redouble (2011). Stéphane L. avait eu l'occasion de nous présenter ce manga lors d'un café littéraire sur l'enfance dans la littérature (CR du 6 novembre 2015).

Résultat de recherche d'images pour "quartier lointain manga"

   Depuis ce choc esthétique et intimiste, pour beaucoup de Français et d'occidentaux Jiro Taniguchi était devenu une référence incontournable du manga. Genre que tant de personnes ont délaissé à la suite de profonds malentendus culturels sur lesquels il est inutile de s'arrêter ici. Des lectures comme Le Journal de mon père, L'Homme qui marche, L'Homme de la toundra sont venus confirmer le talent de ce dessinateur sans pareil. Et il reste beaucoup à lire de lui, tant son oeuvre est placée sous le double signe de l'abondance et de l'éclectisme.

   Voilà ce que Jiro Taniguchi écrivait dans la postface du Journal de mon père à propos de la manière dont il a abordé son récit :
"Il importe de pouvoir s'arrêter de temps à autre. Dès l'instant où l'on sort se promener sans aucune attente précise, étrangement, le temps s'écoule soudain plus lentement. Les sensations se font d'elles-mêmes plus riches, et l'on peut retrouver des souvenirs heureux, comme se laisser bercer par le mouvement des nuages. A la vue des herbes et des cailloux au bord du chemin, il arrive aussi que l'on sente émerger d'autres sentiments. [...] J'ai tenté d'étendre les possibilités formelles du dessin, en m'imposant une seule contrainte dans la mise en forme du récit. Il s'agissait d'éviter autant que possible les termes servant à exprimer les émotions, tournures exclamatives et adjectifs."

   A cette lecture, on songe au très beau personnage joué par Adam Driver dans le film Paterson (2016) de Jim Jarmusch. Un homme qui marche, qui compose des poèmes avec les petits riens du quotidien... et qui rencontre un japonais sur un banc à fin de l'histoire.

   Curieux également comme les caprices du hasard peuvent nous faire des clins d’œil à contre-temps. Il y a quelques jours à peine, je dénichais, ravi, deux films importants de Yasujiro Ozu en dvd à petit prix : Voyage à Tokyo et Il était un père. Or, pratiquant facilement le jeu des associations et combinaisons, je savais que l'on rattache facilement les univers intimistes des deux hommes. C'est désormais en marchant dans leurs œuvres respectives que nous pourrons revivre leur mystérieux et fructueux dialogue.



Pour découvrir (ou mieux connaître) Jiro Taniguchi :

- un article du Hunffington Post (ici)
- un hommage sur le site de Télérama avec plusieurs liens (ici)
- France Culture propose d'anciennes émissions pour réécouter la voix du "Hergé japonais" (ici)
- un article de Libération (ici)
- l'hommage des Inrockuptibles, n°1107 du 15 février 2017. On pourra y lire une ancienne interview du mangaka.           lien 1 p.22   /  lien 2 p.23
- "Dans les pas de Jiro Taniguchi, l'homme qui marche" documentaire disponible sur YouTube (ici)

Le reste en librairie et dans les meilleures bibliothèques...

Enfin, pour les curieux, on trouvera une mine d'informations sur Yasujiro Ozu sur le formidable site du ciné-club de Caen (ici).


Raphaël

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